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pentir sincère dont il racheta toujours ses fautes. Puis tout à coup, en songeant que ce cercueil même va disparaître pour être conduit à Constantinople, qui en réclame la possession, Ambroise se trouble ; l’idée de cette séparation nouvelle le remplit d’une nouvelle douleur, comme s’il allait perdre Théodose une seconde fois.


« Empereur auguste, s’écrie-t-il en s’adressant au jeune fils de son ami, tu pleures de ne pouvoir suivre toi-même ces reliques vénérables jusqu’à la cité qui les attend. Ta douleur, mon cœur la ressent, et nous la partageons tous; oui, nous voudrions tous t’accompagner, et servir avec toi de cortège à ce père bien-aimé. Mais lorsque Joseph conduisit le corps du patriarche Jacob pour le mettre au sépulcre, il n’alla qu’aux limites d’une seule province; toi, au contraire, quelle immense étendue de pays te sépare de Constantinople ! Ici c’est un continent tout entier, là c’est la mer. Les fatigues d’un tel voyage assurément ne t’effraieraient pas; mais l’intérêt de l’empire te retient parmi nous, et les bons empereurs savent préférer la république à leurs devoirs de fils et de père : c’est pour cela que le tien t’a fait prince, et que Dieu a confirmé son choix.

« Admis dans l’assemblée des saints. Théodose est illuminé maintenant d’une gloire inconnue : il jouit de ses vertus, il est roi. Il siège à côté de Constantin, et près de lui est ta mère Flaccille, son plus cher amour. Il serre dans ses bras Gratien, qui ne pleure plus ses blessures, parce qu’elles ont trouvé un vengeur, et qu’en dépit de l’indigne mort qui l’a ravi de ce monde, son âme possède aujourd’hui la paix.

« Oh! non, prince auguste, ne crains pas que quelque honneur paraisse manquer à ces reliques triomphales dans les lieux qu’elles vont parcourir. Quelque contrée qu’elles traversent, elles trouveront partout le respect et la douleur. L’Italie, témoin des victoires de Théodose, et délivrée par ses armes, célèbre l’auteur de sa liberté; Constantinople le pleure. Après l’avoir envoyé deux fois à la victoire, elle attendait son retour avec une ardeur impatiente ; elle accourait en idée au-devant de lui pour voir le spectacle de sa rentrée : la solennité d’un triomphe, le tableau des victoires gagnées par son bras, l’armée gauloise réunie aux légions d’Orient, qu’elle combattait naguère, et enfin l’empereur du monde entier, voilà ce qu’attendait Constantinople. Eh bien! voici que Théodose lui revient plus puissant, plus glorieux encore : des légions d’anges le précèdent, la troupe des saints l’accompagne... Heureuse ville qui vas recevoir un habitant du paradis, et qui, dans l’étroit caveau où ce corps vénéré doit descendre, posséderas un citoyen des parvis célestes! »


Ainsi, pour l’église, Théodose était déjà saint, et dans le même instant (chose étrange!) des païens, éblouis par ses brillantes qualités, mettaient parmi les dieux, quoique sans apothéose publique, cet ennemi de leur culte et ce destructeur de leurs temples. Claudien, dans de beaux vers récités devant la cour chrétienne d’Honorius, transforme l’âme de l’empereur défunt en un astre éclatant qui se fixe sur la voûte céleste entre Bootès et Orion; mais des témoignages plus certains que les fictions d’un poète, des témoignages