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Belgique, la Grèce, les Principautés-Unies du Danube; elle a fait le bien, elle a fait aussi le mal, quand elle a empêché la Syrie de se rattacher à la vice-royauté d’Egypte, et qu’elle a rendu cette province à la Turquie, c’est-à-dire à l’anarchie. Elle est en train de réparer le mal qu’elle a fait à la Syrie, puisqu’elle a autorisé l’occupation française. La souveraineté fédérale de l’Europe s’est donc déjà exercée sur l’Orient sans s’assujettir pour cela à une plus grande unité que l’unité morale. Je suis même persuadé que chaque jour cette souveraineté européenne fera plus sentir son action en Orient. L’opinion publique l’y pousse en Europe, la nécessité des choses l’y appelle en Orient. Le vœu de M. de Juvigny est donc en train de s’exaucer par d’autres moyens que ceux qu’il indique, par des moyens plus simples et, selon moi, moins périlleux pour l’indépendance des états et des individus.


II.

Cette action que l’Europe est appelée à exercer sur l’Orient m’amène naturellement à la brochure de M. de Tchihatchef. M. de Tchihatchef a beaucoup de talent, et il a en outre deux qualités qu’il tient des deux emplois successifs qu’il a faits de son activité : il a été diplomate avant d’être voyageur en Orient. Comme diplomate, il a l’esprit pratique et tient grand compte des difficultés; comme voyageur, il est hardi et expéditif. Ces deux qualités du diplomate et du voyageur se combinent fort heureusement en M. de Tchihatchef et se fortifient l’une par l’autre. Où le diplomate hésiterait par ménagement pour les obstacles, le voyageur décide et trouve un expédient; où le voyageur serait disposé à aller trop vite et trop loin, le diplomate s’arrête et s’en tient à ce qui est possible selon la prudence.

M. de Tchihatchef, par exemple, pense, comme un grand nombre de bons esprits, qu’il est impossible que l’armée d’occupation quitte la Syrie; mais il n’en reste pas à cette difficulté, comme font beaucoup de personnes, promptes à voir les difficultés, timides ou lentes à chercher et à trouver les expédiens. Il indique à la fois le mal et le remède avec un heureux mélange de hardiesse et de prudence : « Que fera, dit-il, l’armée libératrice de Syrie après s’être acquittée de sa tâche facile de châtiment et de pacification? Serait-il vrai que, conformément aux injonctions de la diplomatie, elle imitera l’exemple déplorable donné par les armées alliées de 1856, en se retirant courtoisement de la contrée qu’elle aura arrachée à l’extermination, et en chargeant du soin d’y maintenir l’ordre ceux même qui l’ont ensanglantée, ou qui n’ont pas eu le pouvoir de la protéger? Ou bien, tenant compte plutôt de l’opinion publique que des protocoles