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et procès-verbaux, l’armée européenne restera-t-elle en Syrie indéfiniment à titre d’occupation militaire ? Quelles qu’aient été la fatale longanimité et l’aveugle déception de l’Europe, on n’a pas le droit de lui faire l’injure de croire que cette fois encore elle se condamnera à tourner pitoyablement dans le cercle vicieux où elle se meut depuis si longtemps. Évidemment, malgré toutes les formules de la diplomatie, l’armée française ne peut être qu’une armée d’occupation à terme indéfini, et dès lors elle ne saurait être considérée que comme l’avant-garde de l’armée réunie des puissances européennes, car non-seulement les principes de l’équilibre politique ne permettent point d’accorder à une puissance quelconque le monopole de la tutelle de l’empire ottoman, mais encore aucun souverain ne voudrait se charger d’une tâche aussi dispendieuse et d’une responsabilité aussi lourde[1]. » M. de Tchihatchef n’hésite donc pas à proposer l’occupation de l’empire ottoman. Il aimerait mieux sans doute le partage de cet empire, il croit même qu’il faudra en venir là tôt ou tard ; mais, « bien que le partage de l’empire ottoman soit une de ces mesures inévitables par lesquelles on finit toujours, précisément parce qu’on avait oublié de commencer par là[2], » l’auteur ne pense pas que l’Europe puisse se livrer en ce moment « .à une opération si compliquée. » Le partage n’étant pas faisable, reste l’occupation, « mesure moins violente, et qui aura le grand avantage, non-seulement de rendre le partage définitif plus inévitable et plus régulier, mais encore de donner aux puissances européennes la facilité de le consommer à une époque plus opportune[3]. » Autre avantage encore de l’occupation militaire de l’Orient par l’Europe, car, avant de faire mes objections au système de M. de Tchihatchef, je dois l’exposer tout entier : « le jour où une grande confédération militaire se chargera de la conservation de la Turquie et l’acceptera pour ainsi dire en dépôt, la position des puissances européennes vis-à-vis de l’empire ottoman devient identique et exclut toute possibilité de réaliser à l’égard de cet empire certaines aspirations ou certaines convoitises qu’à tort ou à raison on attribue à quelques-unes d’entre elles. Que le malade expire entre les mains de la consultation qui se serre autour de son lit, ou qu’il continue pendant quelque temps encore à conserver les symptômes d’une vie artificielle, dans l’un comme dans l’autre cas tous les héritiers présomptifs sont réunis autour de lui, soit pour régler l’héritage, soit pour exercer en commun les fonctions de garde-malade[4]. »

  1. Nouvelle Phase de la Question d’Orient, par M. de Tchihatchef, p. 13-14.
  2. Ibid., p. 15.
  3. Ibid., p. 15.
  4. Ibid., p. 29.