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fer peintes en blanc, épaisses d’un demi-pouce et larges de six pieds, avec des cercles et un point noir au milieu. Les dernières cibles étaient d’ailleurs si réduites par la distance que ce point apparaissait gros comme celui d’un i. Atteindre un objet presque invisible était pourtant le tour d’adresse qui devait constituer le succès de la journée. Les tireurs occupaient un terrain libre, défendu contre la pression de la foule par une corde tendue. C’étaient des riflemen de toutes les couleurs et de tous les uniformes, avec quelques Suisses venus tout exprès de leurs montagnes pour disputer les prix aux Anglais[1]. Avant d’être admis à concourir, il fallait payer au moins une guinée[2]. Cette condition pécuniaire était généralement blâmée comme devant exclure du champ des épreuves nombre d’artisans, de villageois et de commis de boutique, dont le coup d’œil pouvait être néanmoins aussi sûr et la main aussi exercée que celle des plus riches compétiteurs. Fallait-il soumettre l’entrée du concours à une question d’argent, et en quelque sorte taxer les balles ? Vers quatre heures et demie, la reine s’avança vers la tente du tir (shooting tent), qui était située à quelque distance de sa tente de repos, et commença elle-même les opérations de la journée. Un léger attouchement de la main sur une ficelle attachée à la détente d’un fusil, et le premier coup partit. Les drapeaux s’agitèrent du côté des buttes et annoncèrent que la balle enchantée avait touché l’œil-de-bœuf (bull’s eye). Selon les règles de l’association, la reine venait de gagner trois points. Le concours était ouvert.

Ce shooting contest dura plusieurs jours. Les curieux et les amateurs se succédèrent sur le terrain, trempé par des pluies récentes ; les bruyères et les herbes humides étaient envahies çà et là par des flaques d’eau à fleur de terre que de profondes tranchées ouvertes depuis plus d’une semaine par le soc d’une charrue à vapeur n’avaient point réussi à dessécher entièrement. Tout l’intérêt était maintenant concentré autour des firing tents. Ces tentes, d’où partait le feu étaient occupées par des candidats à divers prix, dont le plus considérable, celui de la reine, était de 250 livres sterling. Je visitai d’abord le groupe des tireurs à la tante Sally, aunt Sally. C’est le nom populaire qu’on donne, d’après l’usage des foires et des courses de chevaux, à un certain mode de compétition. Vous payez 1 shilling pour chaque coup de fusil, et l’ensemble de la recette se divise à la fin de la journée parmi ceux qui ont frappé le centre des cibles. Il y avait là des riglemen qui tiraient à tour de rôle et en choisissant toutes les positions, — ceux-ci debout, ceux-là un genou à terre, les uns assis, les autres enfin couchés sur le ventre. Peu importait

  1. Ils étaient de ceux que les Anglais appellent pickel men, c’est-à-dire les meilleurs tireurs de leur canton.
  2. 4 guinées pour concourir à tous les prix.