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son côté. Je demandai même à mistress Wroughton de laisser écouler la foule avant de sortir de la salle, ne me souciant guère de me rencontrer face à face avec cet inconnu qui m’avait vue si préoccupée de lui ; mais ces précautions furent vaines. Dans le petit vestibule que nous avions à traverser pour sortir du Crystal-Palace, l’inconnu nous attendait, et mistress Wroughton m’ayant interpellée par mon prénom si peu commun malgré sa pure origine saxonne :

— Alswitha !... reprit l’étranger... Permettez, miss!... c’est un nom que je croyais particulier à notre famille?

— Godfrey Lee, n’est-ce pas? m’écriai-je à mon tour.

Et mon frère, — c’était bien lui, — saisit aussitôt ma main ; mais la seconde d’après il la laissait retomber : — Et vous, reprit-il avec un accent de reproche, portez-vous encore ce nom de Lee? N’êtes-vous pas du moins à la veille d’en prendre un autre?

— Je m’appelle encore ainsi, répondis-je,... et selon toute apparence je ne porterai jamais d’autre nom.

— Vous avez donc rompu votre engagement avec Wyndham? demanda Godfrey, qui, reprenant aussitôt ma main, m’emmenait vers le sofa du vestibule, maintenant à peu près désert.

— Cet engagement n’exista jamais,... et Hugh Wyndham est marié depuis quelques semaines.

— A la bonne heure... J’avais de tout autres renseignemens... Votre démenti me fait du bien... Je vous croyais la femme de ce dandy.

— Permettez!... cette épithète est de trop, m’écriai-je... Pas une femme n’aurait à rougir d’un mari pareil.

— Tant mieux pour lui... et tant mieux pour celle qui l’a épousé! L’essentiel, c’est que vous ne soyez pas une Wyndham... Laissez-moi maintenant vous présenter votre neveu... en attendant que je vous présente à sa mère. Ma bonne Christine sera bien heureuse de vous faire accepter notre modeste hospitalité... Et comme vous allez être, si vous ne l’êtes déjà, parfaitement libre de vos actions,... aucun prétexte de nous refuser cette faveur... Qu’en dites-vous, petite Sxathy ? ajouta-t-il en riant de cette enfantine appellation, qui contrastait si bien avec ma haute taille et mon aspect tragique.

Cette offre bienveillante, mais banale, n’était pas ce que mon cœur attendait. — Il me semblait, dis-je à l’instant même et sans trop réfléchir, que vous m’aviez fait jadis une promesse?

— Laquelle donc, chère sœur?

— Celle de venir me chercher « quand je serais grande. »

— L’ai-je dit?... Et réclamez-vous sérieusement l’exécution de ma parole?

— Si elle ne vous gêne en rien?