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nage qui s’avançait à pas furtifs dans la même direction. Il reconnut bientôt, le nouveau-venu s’étant tourné de son côté, un personnage dont les fréquentes visites au château avaient souvent fourni matière aux commérages des buveurs dans les ale-houses des environs. Le rusé braconnier devina qu’il s’agissait d’une autre espèce de fraude, et se promit de mettre à contribution le hasard qui lui livrait ce mystérieux visiteur. À peu près certain que la préoccupation du squire lui laissait le champ libre, il quitta sa cachette, et par un circuit familier se dirigea sans bruit vers une des issues du bois, celle par où l’on racontait qu’Owen Wyndham arrivait d’ordinaire au château. À peine cependant avait-il quitté son abri, un coup de feu le fit tressaillir et l’arrêta sur place. Sa première idée fut qu’un garde-chasse, l’ayant aperçu, tirait sur lui : aussi se dit-il que le parti le plus sûr était encore de continuer sa course dans la direction déjà prise. Une fois hors du bois seigneurial, il s’embusqua près de la barrière, il attendit et n’attendit pas en vain. La barrière fut bientôt franchie par l’individu qu’il guettait, Hickman n’hésita pas à l’aborder par son nom et à lui demander ironiquement « des nouvelles de mylady. » Sans lui répondre autrement, M. Wyndham lui jeta un sovereign, et une heure plus tard, par l’entremise d’une petite paysanne à peine âgée de cinq à six ans, Hickman reçut avis qu’on l’attendait derrière les haies d’un champ voisin. Arrivé au rendez-vous, il y retrouva le même personnage, qui, lui parlant assez vaguement de « dangers courus, » de « secret à garder, » des recherches qu’on allait faire, d’un interrogatoire à éviter, lui offrit une somme assez considérable, s’il voulait quitter immédiatement les environs, et l’Angleterre peu de jours plus tard, pour aller passer quelques années soit en Amérique, soit en Australie. Pour un malheureux qui ne savait de quel bois faire flèche et que ses créanciers talonnaient, la proposition était des plus acceptables ; elle le séparait brusquement de mauvais compagnons qui l’entraînaient à sa perte, et le tirait de mille embarras en lui offrant toutes les chances d’un nouvel avenir. Le contrat ne fut pas long à passer, et M. Wyndham ne perdit pas une minute pour en exécuter les clauses. Un dog-cart. attendait à quelque distance : il y fit monter Hickman, et lui-même, vêtu d’habits d’emprunt qui lui donnaient assez la tournure d’un commis-voyageur, le conduisit rapidement jusqu’à une petite ville voisine où, après avoir mis en gage chez un pawn-broker une bague de grand prix, il lui délivra un fort à-compte sur la somme qu’il était convenu de lui payer avant son embarquement. La somme complète lui avait été payée quinze jours après son arrivée en Amérique. Pendant les deux ou trois ans qu’il passa cherchant fortune aux États-Unis, Hickman, qui n’avait aucune correspondance avec son pays na-