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cette illusion suprême, et aucunes paroles ne s’offraient à mes lèvres qui dussent lui faire accepter et comprendre mon refus.

— Vous hésitez, Alswitha? me dit-il enfin.

— Savez-vous, lui demandai-je à mon tour, quel est l’objet de cette lettre?

— De faire connaître la vérité, me répondit-il avec l’accent du reproche.

— La vérité! repris-je. Ah! croyez-moi, ne me demandez que le silence !

— Je ne vous comprends pas...

— Ma mère, elle, se chargera de comprendre.

Il tressaillit; une pâleur mortelle couvrit son visage.

— Owen était là! s’écria-t-il à mots pressés; vous l’avez vu?... Vous êtes sûre de ne pas vous tromper?...

Et comme je ne répondais plus, après quelques instans de silence : — Croyez, ajouta-t-il avec amertume, que, si j’eusse connu la vérité, jamais je n’aurais accepté cette mission, sans laquelle cependant je ne vous aurais jamais revue, continua-t-il avec un accent bien moins sévère... Comment n’ai-je pas su?...

— Ce que je savais, moi, n’est-il pas vrai? répondis-je... Que voulez-vous?... j’espérais n’avoir jamais à vous en parler. Devenue vôtre à jamais, je désarmais, je croyais du moins désarmer ce menaçant avenir...

— Et vous nous sauviez tous. Je comprends, et je vous rends grâces; mais sans cette ignorance fatale où je suis resté, mon frère échappait à sa terrible destinée. Il était prévenu de quelque chose. Votre oncle Haworth l’avait mis sur ses gardes; votre mère elle-même, m’appelant à Bampton-Chase, me priait d’user de mon influence sur Owen pour lui faire franchir le détroit, «afin d’éviter, disait-elle, les méprises de la justice humaine. » Soigneux de sa renommée et convaincu qu’il n’avait pas ce crime à se reprocher, j’ai voulu au contraire qu’il affrontât les poursuites annoncées. La vérité, mon Dieu, que ne l’ai-je sue à temps!...

La vérité, pensais-je au même moment, c’était moi qui pouvais la faire connaître, et puisque, révélée à temps, elle devait sauver le coupable, ma destinée avait été de la taire jusqu’à l’heure fatale où le silence gardé par moi devait assurer son châtiment. Cette pensée, qui me remplissait d’effroi, venait sans doute de traverser aussi l’âme du malheureux frère d’Owen Wyndham, car il s’écria tout à coup : — Ah! ce portrait!... ce portrait!... Quel présage!... Par le ciel, Alswitha, vous aurez été jusqu’au bout mon mauvais génie !

— Le vôtre et le mien, lui répondis-je... Vous, en revanche,