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taine de sa compagnie. Deux ans plus tard, il était nommé représentant à la législature, y siégeait dans quatre sessions consécutives, et débutait au barreau avec succès. A partir de ce moment, il devint un des chefs du parti whig dans l’Illinois, et prit une part active à toutes les luttes politiques. Elu représentant au congrès en 1846, il déclina une réélection en 1849, afin de se consacrer tout entier à l’exercice de sa profession et à l’éducation de ses enfans. Les républicains l’allèrent tirer de sa retraite en 1859, pour l’opposer à M. Douglas comme candidat au sénat. Pendant près de deux mois, les deux rivaux parcoururent l’Illinois, prononçant chaque jour une harangue nouvelle, se rencontrant souvent et engageant alors un de ces duels de parole qui font la joie du peuple américain. M. Lincoln soutint sans désavantage cette lutte contre un des orateurs les plus renommés de l’Union : il aurait dû l’emporter, puisqu’il obtint 3,000 voix de plus que son adversaire; mais l’inégale répartition des districts électoraux donna l’avantage à M. Douglas. C’était cette campagne électorale qui avait appelé sur M. Lincoln l’attention des populations de l’ouest, et lui avait valu leurs suffrages à Chicago. La modération de son caractère et ses tendances conservatrices, attestées par sa conduite au congrès alors qu’il faisait partie de la phalange dirigée par Henry Clay, étaient de nature à rassurer les plus timorés ; ses opinions protectionistes donnaient toute garantie aux états industriels; enfin les classes laborieuses saluaient en lui un enfant du peuple, fils de ses œuvres, qui avait connu les épreuves et les rudes labeurs de la pauvreté, et qui, par l’intelligence, le travail et la probité, s’était élevé des rangs les plus humbles jusqu’à la situation la plus digne d’envie pour le citoyen d’un grand pays.

La candidature de M. Lincoln porta le coup le plus rude à M. Douglas. Ce qui faisait la force principale de celui-ci, c’était son influence présumée dans la vallée du Mississipi. Avec un homme de l’ouest pour adversaire, cette influence était fort menacée, et si M. Douglas n’avait pas l’appui unanime des démocrates, il n’était pas certain d’éviter un échec, même dans l’Illinois. Aussi la confiance de ses ennemis personnels, un peu abattus à la suite du succès oratoire qu’il avait obtenu au sénat et des témoignages de sympathie qui lui étaient venus de divers états du sud, ne tarda-t-elle pas à se relever. M. Douglas avait brûlé ses vaisseaux dans son grand discours, en déclarant que rien au monde ne le ferait renoncer à sa conviction que le congrès ne pouvait et ne devait pas intervenir dans les territoires; l’adoption par le sénat des résolutions de M. Jefferson Davis donna aux prétentions de ses adversaires une apparente consécration, et permit de lui opposer l’autorité d’un des grands corps de l’état. Une entente s’établit entre les principaux meneurs