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la Bretagne une guerre à mort, et ce n’était pas lorsque les chances lui devenaient plus favorables que Landais pouvait être de son côté disposé à la suspendre.

Le conseil de Charles VIII était profondément divisé au moment où il avait à faire face à une double réaction féodale et démocratique, résultat simultané du gouvernement impitoyable qui avait pris aux grands leur sang et au peuple son or. Anne de Beaujeu, la vraie fille de Louis XI, avait gardé, du droit de sa supériorité incontestable, un pouvoir qu’elle n’avait aucun titre légal pour exercer, car son frère, entré dans sa quatorzième aimée, était majeur aux termes de l’ordonnance de Charles V. Épouse d’un cadet de la maison de Bourbon, Anne avait contre elle le chef de cette branche de la famille royale, et rencontrait un ennemi encore plus redoutable dans louis d’Orléans, premier prince du sang. La jeunesse et la bonne grâce de celui-ci ne le rendaient pas moins populaire aux halles qu’à la cour, et derrière le prince héritier présomptif de la couronne, puisque Charles VIII était encore sans enfans, se groupaient, pour réclamer réparation et vengeance, tous les chefs exaspérés de la féodalité provinciale. « Landays donc, qui avoit toutes les intelligences de ce qui se passoit dans le royaume, résolut de besogner de ce côté. Il s’adressa au duc d’Orléans, luy faisant escrire par le duc avec grandes plaintes de l’outrage qui lui avoit esté faict, et le prioit, pour l’obligation de parenté qui estoit entre eux, de vouloir faire un voyage en Bretaigne, où il mettroit peine de le recueillir comme celui auquel il mettoit sa fiance. Et sçachant les propos dont s’estoient servis les seigneurs vers la dame de Beaujeu, laquelle ils reconnoissoient gouvernante du royaume en haine de luy, il le supplioit de ne quitter pas la partie, à laquelle il mettroit bonne peine de tenir la main, pour luy ayder à obtenir ce qu’il méritoit mieux qu’une femme : des moyens de quoy ils deviseroient mieux estant vis-à-vis, s’il luy plaisoit faire un voyage vers luy[1]. »

Le duc d’Orléans s’empressa de communiquer cette lettre à Dunois, son cousin et son principal conseiller. Aussi souple diplomate que son père avait été grand capitaine, le comte de Dunois pénétra tout l’avantage qu’aurait pour les affaires des princes mécontens une ligue étroite avec François II, et, saisissant cette occasion pour servir à la fois l’intérêt politique du duc d’Orléans et son antipathie contre la malheureuse épouse à laquelle la main de fer de Louis XI avait enchaîné sa destinée, il ouvrit devant le premier prince du sang les plus séduisantes perspectives. « Le duc de Bretaigne avoit deux filles pour tous héritiers : Dunois commença à penser que par

  1. Histoire de Bertrand d’Argentré, liv. XII.