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force triomphante les plaisirs plus raffinés de l’hypocrisie. Landais fut conduit à la prison du Bouffay, au milieu d’un peuple immense, calmé par la certitude d’une prochaine exécution juridique, qui poursuivait d’injures stupides le défenseur, non pas irréprochable, mais courageux, de cette nationalité bretonne dont il emportait dans sa tombe la dernière espérance.

En peu de jours, le procureur-général eut dressé un long réquisitoire comprenant dix-sept chefs d’accusation contre le ministre déchu. Le premier de ceux-ci portait sur la mort de Chauvin et la violation au préjudice du chancelier de toutes les garanties judiciaires. Nous avons déjà dit que Landais prit sans hésiter la responsabilité du meurtre accompli sur un ordre verbal par Jean de Vitré, son agent, lieutenant du château de l’Hermine. Il expliqua la promptitude et le secret de l’exécution par l’urgence d’empêcher l’intervention imminente du roi de France et même celle du saint-siège, auquel en avait appelé le chancelier à raison de son privilège de cléricature[1]. Il n’avoua pas avec une moins rude franchise le meurtre commis sur la personne de deux jeunes clercs surpris par les espions du ministre au moment où ils se rendaient en France, porteurs de lettres remises par les chefs de la rébellion. Il se défendit de l’imputation relative à la dépossession de l’évéque de Rennes en arguant des pratiques séditieuses de ce prélat, « qui était, dit-il, grand vexateur du peuple, » et que le saint-siège avait depuis longtemps manifesté la résolution de frapper. Il discuta avec un sang-froid remarquable, et de manière à embarrasser étrangement ses juges, divers griefs administratifs portant sur des faits de concussions et sur certains actes de violences, griefs par lesquels ses accusateurs, observateurs très scrupuleux de la légalité, s’étaient assez maladroitement efforcés de grossir la liste de « ses crimes, attentats et maléfices. » Répondant enfin au reproche le plus facile de tous à rétorquer, Landais ne nia point avoir excité le duc à s’armer contre les seigneurs, avoir provoqué leur condamnation comme rebelles, la démolition de leurs châteaux et l’abatis de leurs futaies; « il confessa au contraire tout cela et dist avoir agi par hayne des barons, » s’il en faut croire l’étrange procès-verbal reproduit par le vieux sénéchal de Rennes.

Sur des réponses aussi catégoriques, l’on aurait pu passer outre et s’épargner une cruauté inutile; mais si la torture n’eût précédé la mort, quelque chose aurait manqué au supplice, et puisque le peuple avait consenti à différer sa satisfaction sanglante, il fallait bien la lui procurer tout entière. Le malheureux fut donc soumis

  1. Les privilèges des clercs engagés dans le mariage ne furent abolis en Bretag,e qu’en 1539. Voyer de La Porte, Recherches sur la Bretagne, tome Ier, p. 338.