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dont il a besoin, ni les hauts fermages qu’il subit. Dans ce sol léger, le froment, même richement fumé, donne un faible rendement, et la récolte du seigle est d’une médiocre valeur. Ce n’est donc qu’en cultivant du lin ou du colza, du tabac ou de la chicorée, que le fermier parvient à satisfaire aux engagemens qu’il a contractés envers le propriétaire. La culture des plantes industrielles, exigeant beaucoup de main-d’œuvre, contribue à donner aux campagnes un aspect animé, dû surtout à la grande population qu’elle y entretient et qu’elle y appelle constamment. On se croirait dans les jardins maraîchers qui entourent les villes. Jamais les champs ne sont déserts, jamais le sol ne se repose. Il semble qu’à force de le façonner, l’homme espère lui communiquer une partie de son activité et de son ardeur. En toute saison, l’on voit des cultivateurs occupés à le labourer, le bêcher, le biner, le sarcler, le débarrasser des mauvaises herbes, à y transporter les matières indispensables pour le féconder, à récolter enfin les produits nombreux si péniblement obtenus. La déesse de la terre germanique, la farouche Hertha, ne ressemble guère à la Cybèle du midi aux fécondes mamelles, la bonne mère, bona dea : vaincue par des soins continuels et par des sacrifices sans cesse renouvelés, toute baignée de leurs sueurs, c’est seulement alors qu’elle accorde quelques dons à ses laborieux enfans.

On comprend sans peine qu’une culture aussi intensive, dans un terrain aussi rebelle, exige l’emploi énergique d’amendemens de toute espèce : c’est le second point sur lequel l’attention doit se porter. On nous pardonnera d’entrer à ce sujet dans quelques détails. Pour les faire accepter à la délicatesse moderne, on nous permettra d’invoquer encore un souvenir mythologique, et de les mettre sous la protection d’une divinité chère aux antiques tribus agricoles de l’Italie, Saturnus Sterculinus, qui leur apprit l’art précieux de fumer leurs champs. De nos jours, l’agriculteur flamand a voué aussi une sorte de culte à l’auxiliaire indispensable de ses travaux, à l’engrais qu’il appelle dans son énergique langage le dieu de l’agriculture, et non sans raison, car c’est lui qui réchauffe le sein de la terre, qui stimule par ses ardeurs la sève trop lente et trop froide, qui donne à des plantes du tropique, comme le tabac et le maïs, la force de croître, qui opère enfin sous le ciel du nord les miracles qu’on doit aux rayons du soleil dans les beaux pays qui avaient jadis élevé tant d’autels à l’astre bienfaisant.

L’engrais joue dans l’économie rurale de la Flandre un rôle prédominant. Il y a d’abord le fumier de ferme, dont la masse est plus grande ici que partout ailleurs. En effet, le chiffre des têtes de bétail est, ainsi que nous le montrerons, plus élevé qu’en Angleterre même. Le fumier est recueilli avec infiniment plus de soin, car les bêtes à cornes et les chevaux sont nourris à l’étable, et rien ne se