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politique générale, l’empereur ne vient-il pas encore d’accroître leur pouvoir, de mettre en partage avec les chambres une certaine portion au moins de celui qu’il exerce lui-même dans la politique générale ? S’il en est ainsi, et il faut qu’il en soit ainsi, à moins de retirer aux mesures du 24 novembre la portée qu’on leur attribue, l’empereur mettant lui-même dans une certaine mesure son ministère en contact avec les chambres, il est inévitable que le ministère devienne responsable envers les chambres dans cette même mesure. Il faut écarter la fantasmagorie qui obscurcit ce gros mot de responsabilité et ramener au véritable sens pratique cette expression formidable. Il ne peut être question que d’une responsabilité d’opinion, et le principe de la responsabilité ministérielle signifie qu’il est indispensable que le ministère s’inspire des opinions et de l’esprit qui prévalent dans les assemblées auprès desquelles il est chargé de représenter le gouvernement. Responsable d’une part envers la couronne, de l’autre envers le parlement, le ministère doit être le produit de la transaction qui s’opère entre le souverain et les chambres, l’expression de l’accord du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Il n’y a donc point de préventions à soulever contre cette conséquence. S’il y a partage réel de pouvoir entre le chef de l’état et les assemblées représentatives et si le chef de l’état entre en communication par ses ministres avec les assemblées, la conséquence est inévitable.

Elle sortira infailliblement, suivant nous, de l’institution même du double ministère, qui semble imaginée pour la retarder ou la détourner. Il y a des ministres qui dirigent les divers départemens du pouvoir exécutif, et des ministres orateurs qui vont au parlement. Croit on que la responsabilité sera évitée parce que les premiers ne seront point directement commis vis-à-vis des chambres, parce que les seconds ne seront point engagés devant elles pour leur propre cause, et s’y présenteront comme les avocats d’une partie absente ? Mais que l’on rende compte en personne ou par délégué, la compromission n’est-elle pas la même ? Plus le ministre d’action aura de mérite, plus ses mesures auront d’importance, et plus il sera jaloux d’exposer lui-même l’économie de ses plans, de réfuter les objections qu’ils soulèveront ; plus il aura d’influence personnelle pour en obtenir l’adoption : un tel ministre se résignera-t-il longtemps à n’agir sur l’opinion que par procuration et par l’intermédiaire d’une plaidoirie conçue et exécutée par un autre ? Renversez l’hypothèse, mettez-vous à la place du ministre orateur ; dans le conseil, il est l’égal de ses collègues. Osera-t-il se charger de la défense de leurs plans, s’il n’en a pas étudié et par conséquent délibéré lui-même tous les détails, s’il n’en a pas pour ainsi dire fait l’élaboration complète de concert avec les ministres à portefeuille ? Homme de mérite et habile orateur, il croira devoir prendre une part très large à la préparation des mesures, et il en aura toute la gloire publique ; si ses informations sont insuffisantes, s’il manque de connaissance ou de zèle, s’il plaide mal, il peut compromettre et décréditer les mesures les mieux combinées. Comprend-on qu’un ministre d’action puisse travailler en sentant sans cesse par-dessus son