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épaule le regard du ministre orateur, on ayant perpétuellement à compter avec les objections et l’influence du collègue qui tient dans ses mains le succès de ses mesures et le sort de sa réputation politique ? Se figure-t-on que la réforme commerciale entreprise cette année eût pu être soutenue dans une vaste discussion législative par un ministre amateur, en l’absence de celui qui avait combiné une mesure si grave et si complexe, qui en avait ajusté tous les détails, qui avait conduit toutes les enquêtes préparatoires ? Se fait-on une idée d’un ministre des affaires étrangères s’exposant, le cœur tranquille, à voir sa politique affaiblie ou compromise par les imprudences involontaires et l’inexpérience d’un tel suppléant ? Si l’expédient du double cabinet arrivait jusqu’à la pratique, ce rouage ne pourrait fonctionner efficacement qu’aux conditions suivantes. Jusqu’à présent, il n’y a que deux ministres orateurs ; il est probable que ces deux ministres se partageront les départemens ministériels qu’ils devront représenter devant les chambres. On pourrait concevoir le cabinet comme composé de deux comités de ministère, chacun de ces comités ayant son organe parlementaire spécial. Pour que la bonne expédition des affaires pût se concilier avec la bonne représentation du cabinet devant les chambres, il faudrait que le ministre choisi pour être l’organe parlementaire d’une des deux sections du ministère eût sur cette section une autorité reconnue de ses collègues. Alors chacun des deux ministres parlementaires pourrait être considéré comme président d’une moitié du conseil des ministres. Ce serait un cabinet avec deux présidons du conseil, c’est-à-dire encore une anomalie : mais on ne séjournerait guère dans celle-là : on reviendrait vite à la vérité des choses, qui est la présence de tous les ministres au parlement, leur responsabilité devant les chambres, l’unité et l’homogénéité du cabinet assurée par l’autorité acceptée d’un président du conseil.

Mais, nous le répétons, c’est de la pratique que nous attendons ces divers progrès constitutionnels, et nous ne nous laissons pas offusquer par les imperfections probables d’un système qui n’a point été éprouvé par l’expérience, puisque c’est à cette pratique, attendue par nous avec tant de confiance, que ce système nous mène. Les Anglais ne sont pas arrivés du premier coup à la perfection des ressorts de leur machine constitutionnelle. Ils avaient une chambre des lords et une chambre des communes longtemps avant d’être, arrivés à cette forme de transaction entre les pouvoirs que représentent dans un régime parlementaire l’unité et l’homogénéité du cabinet. Ce n’est qu’après le règne de Guillaume III, et par la foi-ce des choses, qu’ils ont été conduits à cet achèvement de la forme constitutionnelle. Lord Macaulay a consacré, dans la seconde partie de son histoire, quelques-unes de ses pages les plus ingénieuses et les plus lumineuses à expliquer comment s’établit ce ressort si important du régime parlementaire. L’utilité de la fonction de premier ministre, la nécessité de la fonction du leader, du ministre dirigeant dans les assemblées, ont été également enseignées aux Anglais par l’expérience, par l’intérêt de la bonne expédition des affaires,