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mour a dû se défendre contre les altérations du secrétaire de lord Elgin, mais encore de déterminer le gouvernement à concentrer, pour la guerre actuelle, tous les pouvoirs, diplomatiques et militaires, entre les mains de l’ambassadeur, afin d’assurer l’unité de direction et d’exécution qui est indispensable au succès des expéditions lointaines. De même encore, c’est par la plume de M. Oliphant que lord Elgin a cherché à justifier, aux yeux du public, la clause du traité relative à l’installation d’un ministre anglais à la cour de Pékin, puis les concessions qu’il crut devoir faire aux susceptibilités chinoises quant à l’exécution de cet article, que l’on peut considérer comme le point de départ de la seconde guerre. Au point de vue politique, la narration de M. Oliphant est le commentaire des comptes-rendus officiels, et cela seul suffirait pour la recommander à notre attention.

En même temps, si l’on ne s’attache qu’au point de vue pittoresque, le livre de M. Oliphant n’offre pas moins d’intérêt. C’est une description rapide et spirituelle de ce panorama si complexe que présentent aux yeux de l’Européen les horizons du Céleste-Empire; c’est un portrait animé de ces mandarins et de ces Chinois de tout rang, que tant de caricatures, esquissées par les touristes, nous ont si souvent défigurés. On sait qu’après avoir terminé à Shang-haï les négociations diplomatiques, lord Elgin a remonté le fleuve Yang-tse-kiang jusqu’à la ville d’Han-tcheou, l’une des cités les plus commerçantes de la Chine, à près de deux cents lieues de la mer. Cette campagne aventureuse à l’intérieur du Céleste-Empire est racontée jour par jour dans le récit de M. Oliphant. Aucun navire européen ne s’était encore engagé si loin. L’expédition visita Nankin, traversa les provinces occupées par les rebelles, assista aux combats peu meurtriers des troupes de Tae-ping avec l’armée impériale, brûla même un peu de poudre pour son propre compte, et put voir de près les ruines que dix années de guerre civile ont accumulées dans les plus riches provinces de l’empire. C’est là, sans contredit, la partie la plus intéressante du livre de M. Oliphant. Nous la signalons particulièrement, parce qu’elle contient des descriptions tout à fait neuves sur une région qui bientôt, il faut l’espérer, sera définitivement ouverte au commerce européen.

Les opinions de M. Oliphant s’accordent sur beaucoup de points avec celles de M. B. Fortune, qui, le premier après les jésuites du XVIIIe siècle, a osé dire quelque bien de la Chine et des Chinois. La nation vaut mieux que son gouvernement; elle est intelligente, industrieuse, d’un caractère doux et inoffensif, moins hostile aux étrangers qu’on ne le suppose généralement, et assez disposée à nous accueillir quand nous nous présenterons à elle avec des marchandises, et non plus avec le canon. Nos ennemis les Chinois seront facilement nos amis, quand nous aurons eu raison du gouvernement orgueilleux et débile qui siège à Pékin. C’est un renseignement et même un enseignement dont il convient de tenir compte dans nos relations politiques avec la Chine. Pourquoi ne pas ajouter que le secrétaire de lord Elgin se montre ordinairement plus favorable pour les Chinois, ses ennemis, que pour les Français, ses alliés? Quand il est question de nous, de notre coopération militaire, M. Oliphant laisse volontiers percer un sentiment de fâcheuse humeur, et même une pointe d’ironie qui traduit trop fidèlement la répugnance que les Anglais éprouvent à nous voir à côté d’eux sur le terri-