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L’union est odieuse et le divorce impossible. Le public européen se laisse prendre à une équivoque : pour la France et pour l’Europe, le rappel de l’union signifie l’Irlande rendue à elle-même et à sa nationalité; pour l’Irlande, le rappel de l’union signifie un parlement séparé sous l’autorité de la couronne d’Angleterre. Les Irlandais ne veulent pas quitter l’armée et les fonctions civiles anglaises, ils ne veulent pas que l’armée anglaise et le gouvernement anglais quittent l’Irlande : ils veulent rester sujets anglais avec un pouvoir législatif irlandais; ils veulent en un mot un parlement à Dublin, Dublin une capitale. Cette question n’est donc pas une de ces questions de nationalité qui touchent aux droits de l’humanité même, soulèvent toutes les questions de liberté et les emportent toutes. C’est une question de localité, intéressante par l’émotion qu’elle excite. La nationalité, la liberté surtout ne sont pas engagées d’un seul côté; on peut discuter, et dès qu’elle est précisée, la question est résolue.

Il s’agit de savoir s’il est bon d’avoir deux parlemens au lieu d’un seul, l’un siégeant à Dublin, l’autre à Londres. On ne prétend pas que les deux parlemens puissent être complètement égaux ; l’un serait purement irlandais, et l’autre, pour toutes les questions générales, serait impérial, comme on dit en Angleterre. L’Irlande, qui vient de conquérir la liberté civile et la liberté religieuse, qui fait aujourd’hui partie d’un grand pays libre, deviendrait alors un pays subordonné et reculerait d’un siècle en arrière. Quelques intérêts, quelques ambitions, les haines, pourraient s’en réjouir; le patriotisme aurait à souffrir. Ce n’est pas par un simple effet du hasard que l’oppression en Irlande est contemporaine de la séparation, et la liberté de l’union. L’Angleterre peut traiter l’Irlande unie avec une complète égalité : les passions irlandaises ne mettent pas en péril le gouvernement britannique quand elles s’amortissent et se perdent au milieu de passions et de préjugés contraires; mais l’Angleterre ne peut admettre que les passions irlandaises soient réunies en faisceau, constituées en corps et viennent lui faire échec. Si l’Irlande avait un parlement séparé, ce parlement ne serait pas seulement subordonné, il serait opprimé et corrompu.

Le grand obstacle n’est pas la volonté de l’Angleterre, la faiblesse de l’Irlande, l’anomalie de deux gouvernemens dans un même empire. L’obstacle est la situation intérieure de l’Irlande elle-même; ses divisions sont profondes et cruelles. Il y a l’Irlande du nord et l’Irlande de l’ouest, l’Irlande protestante et l’Irlande catholique, l’Irlande des riches et l’Irlande des pauvres. Il y a lutte de races, de religions et de classes. Il y a la guerre sociale qui ne cesse de faire des victimes. Les difficultés sont tout irlandaises; l’union ne les a pas créées, et la séparation ne les ferait pas cesser. Au fond