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trésor. Les chambres législatives d’autres états ont eu également à délibérer sur des projets de loi de cette nature, et tout fait présager qu’avant peu de temps le droit public aura consacré l’esclavage de tout homme ayant la peau noire ou foncée. Encore plus francs dans leur férocité que les planteurs de l’Arkansas et du Missouri, les habitans du Maryland ont couvert de signatures une pétition demandant que les soixante-quinze mille nègres libres de l’état soient immédiatement réduits en esclavage et distribués entre les citoyens blancs. Cette proposition est fondée « sur les intérêts sociaux et industriels de l’état, la destinée manifeste de la race nègre et les droits inaliénables des blancs. » Quant aux raisons invoquées, elles se réduisent aux deux affirmations suivantes qui semblent contradictoires, mais que la haine et l’avarice cherchent à mettre habilement d’accord : « 1° le nègre libre ne travaille pas, se corromp dans l’oisiveté, et notre devoir est de le moraliser par l’esclavage ; 2° par son travail, le nègre fait concurrence au travailleur blanc. La conservation de nos justes prérogatives exige que cette concurrence immorale cesse au plus tôt. » La législature du Maryland n’a pas accédé aux vœux des pétitionnaires ; mais elle a autorisé les blancs à faire travailler les enfans noirs, sans demander le consentement de leurs parens ; en outre, elle a voté une loi qui permet aux personnes de couleur de renoncer à leur liberté. Cette effrayante permission ressemble à un ordre.

Par suite de la haine inflexible des esclavagistes contre les affranchis, l’émancipation d’un noir est présentement à peu près impossible. Autrefois la volonté du propriétaire suffisait, et le plus souvent les planteurs, en mourant, donnaient la liberté à un ou plusieurs nègres favoris ; mais depuis que l’agitation abolitioniste a fait tant de progrès, on a pris des mesures dans tous les états à esclaves pour empêcher les affranchissemens. Bien longtemps avant qu’on eût proposé les lois récemment votées contre les nègres libres, la législature de la Louisiane avait défendu à tout propriétaire d’émanciper un nègre âgé de moins de trente ans ; dans le cas où il accordait la liberté à l’un de ses noirs, le propriétaire devait obtenir l’assentiment de tous les planteurs ses voisins et s’engager à nourrir l’affranchi. Dès 1820, les chambres de la Caroline du sud décidèrent qu’aucun nègre ne serait émancipé sans un acte spécial de la législature. En 1841, ces mêmes chambres déclarèrent nuls et sans effet tous actes ou testamens par lesquels un planteur enverrait un ou plusieurs esclaves dans un autre état, afin de les y faire émanciper. Des mesures semblables ont été décrétées par les autres législatures du sud, et aujourd’hui, dans la plupart des états, un blanc ne peut affranchir son esclave, à moins d’exiler en même temps du territoire de la république le nègre qu’il affectionne. Washington