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bienveillans, désirant arriver au même but en se débarrassant des esclaves libres, proposaient de leur faire un pont d’or pour les attirer hors du territoire de la république ; elles frétaient des navires afin de les envoyer à Saint-Domingue, à Libéria, au cap Palmas ; elles ne cessaient de proclamer avec emphase la prospérité des républiques nègres de la côte de Guinée ; elles prêchaient les avantages de la liberté sur la terre d’Afrique avec autant de ferveur que ceux de l’esclavage sur la terre d’Amérique. Toutefois les nègres libres qui ont prêté l’oreille à ces conseils doucereux sont au nombre de quelques milliers à peine, et, sous le souffle de ce vent de haine qui passe sur la république, les aristocraties de ces états à esclaves se croient obligés de prendre des mesures effrayantes de salut public afin d’exterminer le crime irrémissible de la liberté. Le mal s’aggrave nécessairement par le mal : chaque crime des blancs contre les noirs ne peut être pallié que par un autre crime. Il n’est pas dans la langue humaine de mots pour exprimer l’atrocité des nouveaux décrets portés contre les nègres libres. D’atroces mesures que des énergumènes seuls osaient proposer il y a quelques années sont maintenant votées avec un formidable ensemble par la caste entière des planteurs : exil, esclavage et mort sont les seuls mots qu’on prononce aujourd’hui dans ces terribles assemblées législatives. Laissons parler le texte même des décrets dans sa hideuse éloquence.

Dans le courant de l’année 1859, la législature de l’Arkansas a voté une loi bannissant tous les nègres libres du territoire de l’état. Tous les proscrits qui n’avaient pu se résoudre à quitter leurs foyers avant le 1er janvier 1860 ont été mis aux enchères et vendus comme esclaves. Les deux chambres de la législature du Missouri ont adopté une loi de même nature, condamnant à la servitude tous les nègres libres trouvés sur le territoire de l’état à partir du 1erseptembre 1861. En outre, tout nègre libre d’un autre état qui s’introduira dans le Missouri et y séjournera plus de douze heures sera immédiatement vendu comme esclave. La législature de la Louisiane a tenu à honneur de voter une loi semblable. Les planteurs du Mississipi, beaucoup plus pressés que ceux de la Louisiane et du Missouri, n’ont donné aux nègres libres que six mois de répit, du 1er janvier au 1er juillet 1860 ; mais, se souvenant à temps de leurs devoirs de républicains, ils ont décidé que le produit de la vente des hommes libres serait employé à fonder des écoles pour les enfants pauvres. Les législateurs de la Georgie se sont hypocritement contentés de condamner tous les nègres libres convaincus de paresse ou d’immoralité à un an d’esclavage, et, en cas de récidive, à la servitude pour la vie. Ils ont en outre décidé que les affranchis condamnés, pour un délit vrai ou prétendu, à payer une amende qu’ils ne pourraient acquitter seraient vendus aux enchères pour le compte du