Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tin, sans qu’aucune lettre eût annoncé son retour, on le revit à La Villeneuve.

— J’ai écrit au professeur chez lequel il se perfectionnait dans son art, continua M. Favrel ; il m’a répondu que Valentin avait les plus heureuses dispositions, mieux que cela, de l’invention, de l’originalité, une grande sûreté de main, et qu’il lui suffisait de persévérer pour acquérir un véritable talent : ce qui lui manque, c’est de le vouloir. Valentin a maintenant cette conviction que rien ne lui réussira plus, les souffrances qu’il a endurées sont retombées sur son cœur et le contristent ; quand il a su que vous alliez demeurer à La Grisolle, il a eu un mouvement de joie extraordinaire : il espérait que vous l’appelleriez, c’était votre habitude autrefois. Ne voyant venir ni lettre ni messager, la tristesse l’a repris ; il n’a plus osé se présenter chez vous. Il me semble que son état de marasme en a été augmenté. C’est une âme qui n’a plus de ressort. Un dernier espoir m’a conduit vers vous. J’ai remarqué que mon pauvre Valentin avait toujours attaché une grande importance à votre opinion. Vous avez sur son esprit une autorité que je ne m’explique pas bien ; peut-être vient-elle de la différence de vos caractères, peut-être croit-il qu’une personne qui a l’humeur si enjouée, tout en étant si résolue, a quelque chose en elle de plus que les autres. Je crois donc que, si vous lui parliez, il vous écouterait. À défaut d’autre résultat, vous obtiendriez certainement celui de rasséréner son cœur, tout souffreteux, comme celui d’un pauvre oiseau qui a froid. Aurez-vous cette bonté ?

— Eh ! grand Dieu ! je m’en veux de n’y avoir pas pensé plus tôt, s’écria Marthe ; dès demain, je verrai Valentin.

M. Favrel se sentit soulagé. Valentin était son occupation, son enfant, sa famille. Il était déterminé à lui donner tout son bien en héritage, à l’exception d’une petite rente qu’il se proposait de léguer à la commune au profit de l’instituteur qui lui succéderait. Le bonhomme pensait qu’avec une centaine de mille francs, de la santé et une honnête vie dans un beau pays, on pouvait être heureux. Le tout était qu’on le voulût, et c’est à quoi Valentin ne paraissait pas disposé.

Il ne fut pas difficile, le jour suivant, de l’envoyer à La Grisolle. Marthe l’attendait à mi-chemin. Elle lui prit le bras comme autrefois, et le conduisit fort vite à la métairie, où un déjeuner les attendait. Elle ne se faisait pas faute de parler, et parvint à le faire rire en lui rappelant les souvenirs du temps où l’on grimpait sur les cerisiers. Le visage de Valentin s’éclaira, et il mangea de bon appétit. Petit à petit, et sûr qu’on ne se moquerait pas de lui, il s’accoutuma à répondre, tantôt à l’une, tantôt à l’autre, mais plus souvent à Marthe qu’à Marie. Il avait été résolu que Valentin passerait la jour-