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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/1009

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gager des polémiques d’où sortaient des révélations peu édifiantes sur nos mœurs et nos pratiques électorales. À propos d’un de ces épisodes qui donna lieu à un procès scandaleux, un avocat, un orateur célèbre, membre aujourd’hui du corps législatif, M. Jules Favre, put s’écrier : « Voilà, un des fragmens du miroir brisé où la France peut se contempler. » Depuis, d’autres informations ont été portées devant le public à la suite d’autres luttes, et il est remarquable qu’à mesure que l’esprit public tend à renaître, les pièces de l’instruction de nos pratiques électorales se multiplient ; d’autres fragmens du miroir brisé dont parlait M. Favre se retrouvent et se rapprochent ! Nous avons en ce moment sous les yeux deux documens de ce genre : la protestation de M. Léonce Guiraud contre l’élection de M. Dabeaux dans l’Aude, et un mémoire adressé au conseil d’état par M. Clapier à l’appui du pourvoi contre l’arrêté du conseil de préfecture qui a repoussé la protestation relative aux élections municipales de Marseille. Si les faits rapportés dans ces documens étaient exacts, s’il était vrai par exemple que dans l’Aude certains maires se fussent permis, dans le dépouillement des votes, le sans-façon que M. Guiraud leur reproche, s’il était vrai qu’à Marseille on eût fait voter les douaniers et les employés de l’octroi par escouade sous l’œil et le commandement de leurs officiers, que l’on eût distribué de faux bulletins et fait voter de faux électeurs, il faudrait reconnaître qu’une des plus pressantes nécessités de notre régime politique serait d’inculquer dans certaines régions administratives le respect du suffrage universel. On ne respecte pas le suffrage universel quand on l’altère, quand on le violente, quand on affecte de le guider impérieusement par l’emploi des influences administratives, quand on ne le place pas dans les conditions où il peut agir avec le plus complet discernement et la plus entière liberté. À quoi servirait à l’empereur de constater avec orgueil qu’il n’y a point de fonctionnaires dans le corps législatif, si la part prise par les agens du pouvoir aux élections était telle que les députés pussent passer, même à tort, pour être nommés indirectement par le gouvernement ? Qu’aurait-on gagné à écarter les fonctionnaires de la chambre, si au sein du corps électoral une partie des fonctionnaires pouvaient appliquer à la direction du suffrage toute la force qu’ils tiennent du pouvoir exécutif, et si l’autre était contrainte de se prêter avec docilité à une direction semblable ? Le mal ne serait que déplacé ; on n’aurait fait que le refouler sur le point où ses ravages seraient le plus déplorables, c’est-à-dire dans l’organe suprême de la souveraineté, dans la source des pouvoirs publics.

Mettre en relief et entourer de garanties le principe de la liberté électorale est le premier devoir du corps législatif, car son honneur et son crédit autant que son indépendance y sont attachés. L’on est autorisé à croire que plus le corps législatif apportera de vigilance et de zèle dans la défense de la liberté électorale, mieux il répondra aux intentions du gouvernement, telles qu’on peut les lire dans l’interprétation naturelle et loyale des paroles