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parvenir aux fonctions élevées. Les députés actuels ne sont pas à l’abri de ce reproche, que nous ne craignons point de déclarer injuste, puisqu’on pourrait en citer plusieurs depuis 1852 qui sont devenus conseillers d’état ou préfets, et dont le passage au corps législatif a été une sorte de stage au seuil de la carrière administrative ; mais, pour déterminer la véritable indépendance et la vraie valeur du corps législatif, il n’est pas nécessaire de s’arrêter à ces minuties : il faut remonter à son origine même, aux conditions qui entourent l’élection, à la façon dont s’exerce le suffrage universel.

Là est la question neuve, la question vivante, qui, sans être indiquée dans le programme du 24 novembre, en sort immédiatement et nécessairement. L’indépendance essentielle du corps législatif est dans l’entière liberté des élections. Ce n’est pas tout de proclamer le suffrage universel comme le principe d’une constitution : le suffrage universel n’est point un dogme idéal ; dès qu’il entre dans la pratique du gouvernement d’un peuple, il a le sort des choses humaines, il peut à l’application subir les influences et les déviations les plus diverses ; malgré la sonorité et le retentissement du mot, la chose peut être profondément altérée. À ne consulter que notre propre expérience, ne connaissons-nous pas des suffrages universels de plus d’une sorte ? Le suffrage universel qui a fonctionné depuis 1848 jusqu’à la fin de la république est-il le même que celui qui a régné ensuite ? Ce qui nous donne, nous ne dirons pas courage, le mot serait ridicule pour nous et blessant pour le pouvoir, mais confiance en posant ces questions, c’est cette phrase du discours impérial : « Le corps législatif est nommé directement par le suffrage universel, et ne compte dans son sein aucun fonctionnaire. » Nous voyons dans cette déclaration, venant à la suite du décret du 24 novembre, une juste raison de compter que l’entière liberté des élections dépend désormais du zèle des citoyens. Nous croyons que le système suivi jusqu’à présent dans les élections devra être amendé sérieusement par l’administration. Deux traits principaux caractérisaient ce système : d’une part la désignation de candidats du gouvernement, de candidats de l’empereur au choix populaire, de l’autre toute l’autorité, toute l’influence de l’administration employée par elle au profit de ses candidats. Les conséquences de ce système sont aujourd’hui connues. Il avait établi dans l’esprit public une étrange équivoque ; aux yeux de la foule, privée des lumières d’une presse libre, le fait de la désignation de la candidature gouvernementale se confondait presque avec une nomination indirectement accomplie par le gouvernement. De là d’un côté des abus d’influence administrative qui ont été plus d’une fois signalés, et l’indifférence en matière électorale se propageant parmi les esprits indépendans, qui sont la sève des pays libres, et au sein des populations. Les uns manquaient de ressort pour tenter une lutte inutile, les autres s’abstenaient de donner à un résultat qu’ils supposaient décidé d’avance un concours qu’ils croyaient superflu. Çà et là quelques efforts isolés essayaient de remuer cette inertie. Alors on voyait s’en-