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REVUE. — CHRONIQUE.

L’exécution de la Circassienne est aussi bonne que possible avec le personnel que possède le théâtre de l’Opéra-Comique. M. Montaubry se tire avec beaucoup de talent du rôle très difficile de Zoubof et de son costume embarrassant de Circassienne. Il passe alternativement de la voix de poitrine à la voix de tête flûtée, qui lui est nécessaire pour simuler adroitement les intonations délicates de l’autre sexe. Si M. Montaubry se fatigue et tombe malade, comment fera-t-on pour le remplacer ? M. Couderc est charmant de gaieté dans le personnage du peindre Lanskoï, qu’il joue, avec tant d’esprit. Seule, Mlle Monrose ne nous satisfait pas entièrement dans le rôle gracieux d’Olga, dont elle chante les différens morceaux avec plus d’effort que de facilité. Nous ne voudrions pas affliger une artiste de talent dont nous avons apprécié ici les qualités aimables ; mais il faut avertir Mlle Monrose que les difficultés vocales ne s’excusent et ne deviennent un plaisir de l’art que lorsqu’elles semblent un jeu de la nature et de la fantaisie. « Dites-moi cela en prose, si le rhythme du vers ne vous est pas facile. » Les chœurs et l’orchestre complètent un bon ensemble.

Quel que soit le sort réservé plus tard à la partition de la Circassienne, qui a été achetée le soir même de la première représentation, ce qu’il est bon de noter en ce temps-ci, c’est incontestablement une œuvre distinguée et digne en partie du maître dont elle couronne dignement la vie, je veux dire du plus fécond, du plus charmant et du plus jeune des compositeurs français.

Le Théâtre-Lyrique, que nous voudrions voir échappé à la crise qui menace son existence fragile, a donné tout récemment encore, le 8 février, un opéra en trois actes, Madame Grégoire, dont la musique est de M. Clapisson. Cette Madame Grégoire, de MM. Scribe et Boisseaux, n’a de commun que le nom avec la bonne femme chantée et créée par Béranger. La Madame Grégoire du Théâtre-Lyrique est une espèce de Fanchonnette qui voit tout, qui entend tout et qui se mêle de tout, même de politique. Son cabaret, à l’enseigne du Vert-Galant, devient le rendez-vous d’une foule de conspirateurs qui veulent renverser Mme de Pompadour, pour mettre à sa place la femme du lieutenant de police, Mme d’Assonvilliers. Je ne raconterai pas par quels fils conducteurs la conspiration est déjouée par la sémillante Mme Grégoire, qui sauve la monarchie… et l’innocence de Mme d’Assonvilliers. Si M. Clapisson s’y était prêté un peu plus qu’il ne l’a fait, la pièce, qui ne manque pas absolument d’intérêt et de gaieté, aurait pu réussir. M. Clapisson est pourtant un compositeur de talent qui a rencontré dans sa vie un bon nombre d’idées franches, naturelles et plus vivantes que distinguées. Son opéra de la Fanchonnette a obtenu un succès qui n’est pas encore épuisé. Il n’a pas été aussi heureux dans Madame Grégoire, où nous avons remarqué au premier acte un trio, — Mais voici le soir, — fort agréable, et le sextuor qui sert de finale. À l’acte suivant, il y a une romance pour voix de ténor qui est jolie, les couplets drolatiques d’un baragouineur suisse :

Dieu ! qu’ça serait doux !


puis le finale, morceau trop sérieux, ce nous semble, trop étoffé pour le caractère des personnages et la situation vulgaire où. ils se trouvent. On peut signaler au troisième acte un trio syllabique qui est bien en situation.