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que celle de la culture des plantes. L’agriculteur tremble toujours ; un coup de vent, une gelée, le moindre accident lui enlève tout et le frappe de famine. Au contraire, la moisson vivante qui pousse invariablement nourrit au fond de ces fleuves les innombrables familles qui les couvrent de leurs barques, et qui, sûres de leurs poissons, fourmillent et multiplient de même.

En mai, sur le fleuve central de l’empire, se fait un commerce immense de frai de poisson, que des marchands viennent acheter pour le revendre partout à ceux qui veulent déposer dans leurs viviers domestiques l’élément de fécondation, Chacun a ainsi sa réserve, qu’il nourrit tout bonnement avec les débris du ménage. Les Romains agissaient de même, ils poussaient l’art de l’acclimatation jusqu’à faire éclore dans l’eau douce les œufs des poissons de mer. La fécondation artificielle, trouvée au dernier siècle par Jacobi en Allemagne, pratiquée au nôtre en Angleterre avec le plus fructueux succès, a été réinventée chez nous vers 1840 par un pêcheur de la Bresse, Remy, et c’est depuis ce temps que la pisciculture est devenue populaire et en France et en Europe. Entre les mains de nos savans, cette pratique est devenue une science. On a connu, entre autres choses, les relations régulières de la mer et de l’eau douce, je veux dire les habitudes de certains poissons de mer qui viennent dans nos rivières à certaines saisons. L’anguille, quel qu’en soit le berceau, dès qu’elle a seulement acquis la grosseur d’une épingle, s’empresse de remonter la Seine en tel nombre et d’un tel torrent que le fleuve s’en trouve blanchi. Ce trésor, qui, ménagé, donnerait des milliards de poissons pesant chacun plusieurs livres, est indignement dévasté. On vend par baquets, à vil prix, ces germes si précieux. — Le saumon n’est pas moins fidèle ; il revient invariablement de la mer à la rivière où il a pris naissance. Ceux qu’on a marqués d’un signe se représentent sans qu’aucun presque manque à l’appel. Leur amour du fleuve natal est tel que, s’il est coupé par des barrages, des cascades même, ils s’élancent et font de mortels efforts pour y remonter.


La mer, qui commença la vie sur ce globe, en serait encore la bienfaisante nourrice, si l’homme savait seulement respecter l’ordre qui y règne, et s’abstenait de le troubler. Il ne doit pas oublier qu’elle a sa vie propre et sacrée, ses fonctions tout indépendantes pour le salut de la planète. Elle contribue puissamment à en créer l’harmonie, à en assurer la conservation, la salubrité. Tout cela se faisait, pendant des millions de siècles peut-être, avant la naissance de l’homme. On se passait à merveille de lui et de sa sagesse. Ses aînés, enfans de la mer, accomplissaient entre eux parfaitement la