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qu’on a expédié un courrier à M. de Kisselef ; mais j’ignorerai sans doute ce qui lui a été mandé.

« Quoi qu’il en soit, je ne dois pas dissimuler à votre excellence toute la portée de la conduite qu’il m’avait été enjoint de suivre, et dont les conséquences devaient être graves dans un pays constitué comme l’est celui-ci ; avec un souverain du caractère de l’empereur. La position du chargé d’affaires de France devient dès à présent difficile ; elle peut devenir désagréable, peut-être insoutenable. Je serais heureux de recevoir des instructions qui me guidassent et qui prévissent par exemple le cas où le corps diplomatique serait convoqué ou invité sans moi. D’ici là, je chercherai à apporter dans mes actes toute la mesure et tout le calme qui seront conciliables avec le sentiment de dignité auquel je ne puis pas plus renoncer personnellement que mes fonctions ne me permettraient de l’oublier. »


À cette dépêche officielle, M. Casimir Périer ajoutait, dans une lettre particulière du 23 décembre :


« L’effet produit a été grand, la sensation profonde, même au-delà de ce que j’en attendais peut-être. L’empereur s’est montré vivement irrité, et bien que, mieux inspiré que par le passé, il n’ait point laissé échapper de ces expressions toujours déplacées dans une bouche impériale, il s’est cependant trouvé offensé dans sa personne, et aurait, à ce qu’on m’a assuré, tenté d’établir une différence entre les représailles qui pouvaient s’adresser à sa politique et celles qui allaient directement à lui. La réponse était bien facile sans doute, et il pouvait aisément se la faire ; mais la passion raisonne peu.

« Tout en me conformant rigoureusement aux instructions que j’avais reçues et en ne me croyant pas le droit d’en diminuer en rien la portée, j’ai voulu me garder de ce qui eût pu l’aggraver. Ma position personnelle, avant ces événemens, était, j’ose le dire, bonne et agréable à la fois. J’ai fait plus de frais pour la société qu’on ne devait l’attendre d’un simple chargé d’affaires ; ma maison et ma table étaient ouvertes au corps diplomatique comme aux Russes. Ne pouvant que me louer de mes rapports avec la cour et avec la ville, voyant l’empereur bienveillant pour moi, particulièrement attentif et gracieux pour Mme Périer, je n’avais qu’à perdre à un changement. Je ne l’ai pas désiré. Quand vos ordres me sont arrivés, je n’avais qu’à les exécuter.

« Que va-t-on faire ? Je l’ignore encore. On m’assure qu’on a, dès le 18, écrit à M. de Kisselef de ne pas paraître aux Tuileries le 1er janvier, et peut-être de ne donner aucune excuse de son absence.