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de la réalité. À lui seul, ce résultat ne proclame-t-il pas hautement que la vérité ne se trouve ni dans l’une ni dans l’autre, qu’on la rencontrera seulement chez les hommes qui ont admis avec Buffon la variabilité limitée ?

Je me range sans, hésiter sous la bannière de ce grand maître. Pour moi, l’espèce est quelque chose de primitif, de fondamental. Nés et développés dans des conditions identiques, tous les représentans d’une espèce animale ou végétale seraient rigoureusement semblables entre eux ; mais dans l’un et l’autre règne cette condition est à peu près impossible à remplir. Des actions de milieu très diverses ont modifié et modifient sans cesse les types premiers ; l'hérédité, intervient tantôt pour maintenir, tantôt pour multiplier ou accroître ces modifications. Ainsi prennent naissance les variétés et les races. Les limites des variations résultant de ces actions diverses sont encore indéterminées ; mais, en y regardant avec soin, il est facile de constater qu’elles sont parfois remarquablement étendues. Toutefois il ne se forme pas pour cela des espèces nouvelles, et la parenté des dérivés d’un même type spécifique peut toujours être reconnue par voie d’expérience, quelles que soient les différences très réelles qui les séparent. En conséquence je crois pouvoir donner de l’espèce la définition suivante : « l’espèce est l’ensemble des individus, plus ou moins semblables entre eux, qui sont descendus ou qui peuvent être regardés comme descendus d’une paire primitive unique par une succession ininterrompue de familles[1]. » Cette définition repose et sur les données que j’ai exposées plus haut et sur les propositions générales qui la précèdent. Ces propositions seront développées, l’exactitude en sera démontrée dans la suite de ce travail. Commençons par examiner avec quelques, détails la question de la fixité et de la variabilité de l’espèce. Cette étude même nous conduira à des notions nouvelles.

Quand des hommes de génie contemporains, et disposant par conséquent des mêmes élémens de conviction, hésitent entre deux doctrines, quand des esprits éminens se laissent aller chacun dans son sens à des exagérations évidentes, on peut être certain d’avance que le problème agité présente des difficultés sérieuses. Tel est le cas pour la question de la fixité et de la variabilité de l’espèce. L’affirmative et la négative peuvent également s’appuyer sur des observations et des expériences précises empruntées à l’histoire des végétaux aussi bien qu’à celle des animaux, et dans la recherche des

  1. A part le dernier membre de phrase qui précise plus que je ne l’avais fait auparavant l’idée de famille, cette définition est celle que j’ai donnée au Muséum en 1856, et reproduite plus tard dans la Revue Histoire naturelle de l’Homme, — Du Croisement des Races humaines, livraison du 1er mars 1857).