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remerciée de l’intérêt que malgré ses crimes elle n’a pas cessé de lui témoigner, le malheureux déclare que la nouvelle preuve qu’il vient de recevoir de son inépuisable bonté le décide à mettre à exécution un projet, médité d’ailleurs depuis longtemps. « Quand vous aurez reçu cette lettre, ajoute la lugubre épître, j’aurai cessé d’exister. Puisse la clémence du ciel récompenser vos vertus et vos malheurs ! Donnez à l’infortuné dont l’infamie a rejailli sur vous vos prières, sinon vos larmes ! »

Tu comprends facilement que, sous le coup de ces étranges révélations, je demeurai comme anéanti. Pouvais-je imaginer il y a trois ans, lorsqu’au cercle de Rio-Janeiro je lisais le récit des débats judiciaires de ce grand procès qui a passionné la France, le magnifique plaidoyer de l’illustre Berryer, pouvais-je imaginer que l’une des victimes de ce triste drame était l’orpheline de notre vieil ami, cette belle jeune fille dont quelques années auparavant j’avais, par le plus singulier hasard, admiré à tes côtés les grâces pudiques ? Je n’avais certes pas besoin d’autres détails pour m’expliquer le lointain exil de Madeleine, les apparences de mystère qui entourent sa destinée. L’accident qui m’a livré le dernier mot de cette douloureuse histoire ne m’en a pas moins placé dans une position pleine de difficultés. Comment moi, étranger que Madeleine connaît à peine, irais-je lui annoncer que je suis maître de son secret ?… Le rôle si délicat qui m’est destiné demande à être médité sérieusement, et comme la nuit, dit-on, porte conseil, avant de partir pour la chasse j’ajouterai quelques mots à cette lettre pour te donner le plan de campagne auquel je me serai définitivement arrêté, Je laisse donc mon protocole ouvert, suivant la formule de la diplomatie, et vais suivre l’exemple de David, qui, couché dans le corridor en travers de ma porte, ronfle déjà depuis deux heures. Bonsoir.


30 septembre 1854.

De nouvelles dispositions dans le service de la poste m’ont empêché de faire partir ma lettre par la dernière malle. Je ne regrette au reste que médiocrement un retard qui me permet de te donner sous une même enveloppe le très heureux dénoûment du véritable roman dont je t’ai déjà servi le prologue.

Il y a huit jours, au moment où je sortais du lit pour terminer ma lettre, Hendrik est entré dans ma chambre. Le marin était prodigieusement pâle, ses yeux lançaient des éclairs. — J’ai un service à vous demander, me dit Hendrik d’une voix brève ; mais avant de le faire, j’exige votre parole d’honneur que, si ma demande vous semble par trop compromettante, vous me le disiez très franchement.