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pousser le gibier devant eux,. Le personnel des chasseurs se composait de cent cinquante cavaliers environ, montés à poils sur de petits chevaux pleins de feu. Les vêtemens aux couleurs tranchantes de ces Nemrods armés uniformément de redoutables kris donnaient au rendez-vous de chasse un aspect plein de gaieté et de fantaisie. Parmi les chasseurs se distinguaient le régent de Bandosg et son père. Ce dernier, vieillard de soixante-dix ans, fort vert pour son âge, montait avec une remarquable aisance un cheval arabe d’un gris bleu, magnifique animal qui lui avait été récemment envoyé par Hunter de Calcutta, et dont il se montrait très vain. Le vaillant patriarche portait une veste de drap vert brodée d’or au collet, un pantalon blanc et des bottes effilées par le bout en manière de poulaine. Un magnifique kris pendait à son côté, et une cravache richement montée, plantée dans sa ceinture, s’élevait entre ses deux épaules. — Visage fin, froid, énergique, manières parfaites, véritable type de sportman dans toute la portée de l’expression anglaise ! Peu habitué à monter à cheval sans selle et sans étriers, comme il faut bien s’y résoudre si l’on veut traverser au galop les grandes herbes de la plaine, qui à chaque instant vous lient les jambes et menacent de vous désarçonner, inhabile de plus à manier le kris javanais, je préférai le plaisir de la chasse à tir à celui de la chasse à courre, opinion à laquelle se rallièrent le général Trufiano et plusieurs planteurs de la bande.

Les tireurs avaient été placés aux limites des hautes herbes dans d’élégans pavillons de bambous. J’avais pour voisin de gauche mon Ettore, et un planteur des environs pour voisin de droite, David, mon second fusil en main, avait pris place derrière moi dans le pavillon ; mais je ne tardai pas à me repentir de lui avoir octroyé cette marque de confiance. En proie à une agitation nerveuse extraordinaire, le madrassee agitait, dans la direction du pavillon où le général avait pris place, mon fusil chargé et armé comme il aurait pu le faire d’un bâton inoffensif. Mes réprimandes parvinrent, il est vrai, à imposer une immobilité relative à mon serviteur ; mais toute mon éloquence ne put obtenir qu’il détournât les regards effarés qu’il attachait sur le pavillon de gauche, comme s’il se fut attendu chaque instant à en voir sortir, au milieu de l’appareil sacramentel de flammes de Bengale et de vapeurs sulfurées, l’intime ami du docteur Faust.

La battue s’avançait dans le lointain, et bientôt tout entier au plaisir de la chasse, je n’attachai plus qu’une importance secondaire aux faits et gestes de David. La plaine était sillonnée à perte de vue par des nuées de cavaliers ; devant eux, des légions de cerfs fuyaient au grand galop une mort certaine, L’on entendait au loin les cris féroces des assaillans, les hennissemens des chevaux, les bramemens