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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/226

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ne sera jamais la perspective d’un emprunt qui empêchera une mauvaise entreprise ou une guerre injuste de s’engager ; exalté par cette perspective, le public pousserait plutôt à une tentative dont il cesse de voir les périls, préoccupé de l’avantage prochain qui lui semble assuré. Avec les impositions extraordinaires, la situation change d’aspect. Lorsqu’on demande à un pays de s’imposer extraordinairement, et en une seule année, pour 300 millions, comme l’ont fait les Anglais pendant la guerre de Crimée, il y regarde à deux fois ; il examine avec soin la nécessité pour laquelle on lui demande ce sacrifice, et il ne s’y résigne que si la cause lui en paraît parfaitement justifiée. Avec les impôts extraordinaires, il y a peu de guerres injustes à redouter. Si en 1859 on avait eu à demander à ces impositions extraordinaires la moitié seulement de la somme qu’on a empruntée de nouveau pour la guerre d’Italie, soit 250 millions, croit-on que le pays les eût donnés aussi facilement qu’il a souscrit à l’emprunt, et que par suite il eût acclamé cette guerre avec le même enthousiasme ? En ceci, la pratique anglaise est plus morale, plus conforme aux véritables intérêts de la civilisation, car tout ce qui peut rendre la guerre difficile doit être considéré comme un progrès et accueilli comme un bienfait. Néanmoins l’effet produit par l’impôt des 45 centimes en 1848 a été tel que, si nous avions à traverser une crise semblable à celle de cette époque, on préférerait recourir à l’emprunt plutôt qu’à une taxe extraordinaire. Or l’emprunt, pour le trouver à des conditions convenables en temps de crise, il faut l’avoir aménagé en temps ordinaire, et l’on peut douter qu’avec une dette inscrite de plus de 9 milliards, une dette flottante de 759 million un budget de 2 milliards, la France pût emprunter en 1861 aux mêmes conditions qu’elle eût trouvées en 1848, avec une dette inscrite de moins de 6 milliards, une dette flottante de 630 millions, et un budget de 1 milliard 500 millions. Les prêteurs de l’état sont comme les prêteurs ordinaires : leurs conditions deviennent plus dures à mesure que la situation de l’emprunteur se montre plus mauvaise.

L’Autriche en fait depuis dix ans la douloureuse expérience., et c’est use leçon qui peut profiter même à ceux qui ont en apparence les finances les plus prospères, car lorsqu’on fait reposer cette prospérité sur le crédit, c’est-à-dire sur la facilité qu’on possède à certains momens de combler par l’emprunt les excédens de dépenses ordinaires, on s’appuie sur la plus fragile de toutes les ressources, On prétend que si depuis quatre années la rente française n’a pas dépassé en moyenne 70 francs, alors qu’en 1845 et 1846 elle atteignait 84 francs, cette situation tient au grand nombre de valeurs mobilières qui couvrent le marché. On compte aujourd’hui en effet