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pour plus de 9 milliards de rentes, lorsqu’il y en avait moins de 6 en 1846, sans parler de 7 ou 8 milliards de valeurs de chemins de fer qui n’existaient pas à cette époque. Les obligations surtout, qui présentent quelque analogie avec la rente, lui font une concurrence d’autant plus sérieuse que l’émission s’en renouvelle chaque année jusqu’à concurrence de 250 à 300 millions. Tout cela est vrai ; mais s’il y a plus de valeurs, il y a aussi plus de capitaux disponibles. La France est beaucoup plus riche qu’en 1846, elle fait plus d’épargnes, par conséquent elle a plus de moyens d’absorber toutes ces valeurs. Pour avoir une idée de l’augmentation des ressources disponibles, on n’a qu’à considérer le nombre d’établissemens financiers qui se sont formés depuis cette époque et la masse de capitaux dont ils disposent. En 1846, la moyenne des comptes courans à la Banque de France n’était que de 76 millions, et on aurait pu évaluer à peu près à la même somme ce qui était, en dehors d’elle, dans les mains de quelques maisons de banque. Aujourd’hui la Banque de France a en comptes courans 210 millions[1], et les autres établissemens, tels que le Crédit foncier, le Comptoir d’escompte et le Crédit mobilier, ont au moins une somme égale, sinon supérieure, ce qui fait à Paris, seulement, et dans les grands réservoirs financiers, 420 millions disponibles en 1860 contre 152 au plus en 1846.

On peut donc s’étonner qu’avec des capitaux aussi nombreux et des bases aussi larges, la rente ne puisse pas franchir le taux de 70 et qu’elle soit à 23 et 24 francs d’écart avec les consolidés anglais, lorsque cet écart ne dépassait pas 14 francs en 1846. Serait-ce que la richesse publique a fait plus de progrès en Angleterre qu’en France, que la dette de ce pays est moins élevée, qu’on y trouve moins d’occasions de placement pour les capitaux disponibles ? C’est tout simplement parce qu’en Angleterre on est persuadé qu’à moins des circonstances les plus graves le chiffre de la dette publique a atteint son maximum, et qu’au lieu de l’augmenter, il faut s’appliquer à le réduire, ce qui a été fait déjà jusqu’à concurrence de 2 milliards, car la dette publique anglaise, qui était de 20 milliards (chiffres ronds ;) après les guerres de l’empire, n’est plus que de 18 milliards aujourd’hui. En France prévaut le sentiment contraire : le livre de la dette publique s’est ouvert quatre fois depuis 1854 pour des emprunts s’élevant ensemble à plus de 2 milliards, sans compter les 100 millions empruntés à la Banque de France. On craint qu’à chaque incident grave de notre politique ce livre ne s’ouvre encore, même pour couvrir les besoins ordinaires de notre budget, puisque les ressources ordinaires n’ont pas suffi jusqu’à présent pour le solder.

  1. Bilan du 8 novembre 1860.