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nouveau gouvernement de la Hongrie auprès de la république française. Sous la présidence du général Cavaignac, dans les premiers mois de la présidence du prince Louis-Napoléon, M, le comte Téléki, envoyé du gouvernement national de son pays, eut maintes fois l’occasion de défendre sa cause auprès de nos hommes d’état, et s’il ne réussit pas à leur faire partager ses vues, il leur inspira du respect par l’élévation de son caractère et la modération de son esprit. C’est le témoignage que lui a rendu ici même un fonctionnaire distingué du ministère des affaires étrangères, M. Hippolyte Desprez, dans une étude où il combat certaines idées politiques du parti auquel se rattachait le généreux Magyar. Depuis la défaite de la Hongrie en 1849, M. le comte Téléki vivait soit à Paris, soit à Genève, toujours occupé d’études sérieuses, les yeux tournés vers sa chère patrie, et ceux qui ont eu l’honneur de le connaître se demandent par quel enchaînement de sophismes, par quelle étrange interprétation des lois saxonnes, une âme si pure, si noble, un cœur si loyal et si désintéressé, a pu être assimilé aux criminels.

Ce n’est pas pour le comte Ladislas qu’une pareille assimilation est infamante. Certes nous avons le droit d’élever la voix dans cette affaire, et il y a même là un devoir sacré pour nous, car il est bien évident qu’un des principaux mobiles du ministère saxon a été l’espèce de haine qu’il porte à la France et qu’il affiche en toute rencontre. M. le baron de Beust, qui sans présider au ministère, en est l’âme depuis bien des années, ne dissimule guère ses sentimens à notre égard ; on l’a vu en deux occasions solennelles, pendant l’expédition de Crimée comme pendant la guerre d’Italie, nous chercher des ennemis par toute l’Allemagne. En 1854, il a été sur le point de brouiller la Saxe avec l’Autriche parce que l’Autriche refusait de faire cause commune avec la Russie ; en 1859, il a fait acte de vassalité envers la monarchie des Habsbourg dès le moment où les Habsbourg se sont trouvés en face de nous sur les champs de bataille d’Italie. L’extradition du comte Ladislas Téléki est un pas de plus dans cette voie, c’est un hommage obséquieux du vassal au suzerain ; et comment ne pas y reconnaître l’intention de jeter un défi, défi indirect il est vrai, et médiocrement courageux, aux principes de notre politique internationale ? Encore une fois, à part même toute question générale d’humanité, d’honneur, de civilisation, nous avons le droit de protester contre la conduite du cabinet de Dresde, et la presse française n’a pas manqué à sa tâche ; mais il y a un peuple, j’en suis sûr, qui ressentira plus vivement encore cette violation de tous les principes, car son honneur y est expressément et directement engagé : c’est le généreux peuple du royaume de Saxe. Et non-seulement la Saxe, mais la Bavière, le Wurtemberg, le grand-duché de Bade, le grand-duché de Saxe-Weimar-Gotha, la Hesse-Électorale, toute cette Allemagne, divisée sur la carte, mais unie de cœur et de pensée, tous ces états secondaires qui gardent leur originalité germanique en face des prétentions prussiennes et autrichiennes ont dû éprouver au même titre cette commune impression de honte et de douleur. Il y a en effet une solidarité particulière qui les relie au sein de la confédération générale, et puisque M. de Beust a eu plus d’une fois l’honneur de porter la parole au nom de ce groupe d’états, il est bien naturel