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et moi, pensons à tout ce qui est nécessaire. Je suis plein de sentimens pour vous.

« Votre très affectionné frère,

« HENRY, cardinal. »


Le lendemain, 16 décembre, un bref du pape Pie VI, adressé à la comtesse d’Albany, lui annonçait que les dispositions du cardinal étaient complètement approuvées, et qu’un asile sûr attendait la royale fugitive dans le couvent des ursulines. La comtesse quitta aussitôt le cloître des Dames-Blanches et prit la route de Rome. Ce ne fut pas toutefois sans des appréhensions très vives : on savait la fureur du comte, on connaissait la violence de son caractère, et il fallait bien avouer qu’il ne manquait pas de bonnes raisons en ce moment pour se faire justice à lui-même. N’avait-il pas des serviteurs prêts à tout ? Ne pouvait-il rattraper sa proie ? Dans cette espèce de lutte ouverte entre le grand-duc et lui, son honneur n’était-il pas doublement engagé ? On craignait en un mot que le partisan de 1745 ne retrouvât sa vigueur juvénile pour cette expédition d’un nouveau genre ; il fallait donc être en mesure d’empêcher un coup de main. Un soir, au tomber de la nuit, une voiture sortit du cloître des Dames-Blanches, emportant la belle réfractaire ; une escorte de cavaliers armés galopait à ses côtés ; sur le siège étaient Alfieri et M. Gehegan, tous deux déguisés en cochers et le pistolet au poing. Ils occupèrent ce poste pendant plusieurs lieues, et ne revinrent à Florence qu’après avoir laissé la jeune femme à l’abri de tout péril. Le voyage en effet s’accomplit sans accident, et la comtesse, arrivée à Rome, fut reçue avec les plus vives marques d’affection et de respect par son beau-frère le cardinal.

Alfieri, dans ses mémoires, se garde bien de raconter ce singulier épisode ; il revendique pourtant avec assurance l’honneur d’avoir fait son devoir. « On a pu, dit-il, me noircir à cette occasion, on a pu forger contre moi des calomnies que je ne m’abaisserai pas à relever ; quiconque est dans le secret de l’aventure trouvera qu’il n’était pas si aisé de se bien comporter en une pareille affaire et de la mener à bonne fin, comme je crois l’avoir fait, » La comtesse une fois réfugiée en lieu sûr, Alfieri fut bien obligé, par convenance au moins, de rester quelques mois à Florence. Ce qu’il y souffrit des tourmens de l’absence, il l’a dit lui-même avec sa vivacité habituelle. Florence n’est plus pour lui « qu’un désert. » Il y est seul, sans secours, impuissant à vivre, « comme un aveugle qu’on abandonne. » La gloire, même n’a plus d’aiguillons pour exciter sa torpeur : c’était la vue de la comtesse, c’étaient ses paroles, ses encouragemens, qui enflammaient son génie ; séparé d’elle, qu’allait-il devenir ? « Il est donc bien clair, ajoute-t-il, que si dans cette affaire j’avais travaillé avec zèle pour le plus grand bien de mon amie, je