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d’entre eux… Arrivé à ce point de son récit, l’impression que fit sur lui, après quarante années, le souvenir des souffrances de ses partisans fut si vive, si violente, que ses forces l’abandonnèrent, la parole mourut sur ses lèvres, et il tomba sans connaissance. »

Joseph Gorani, dans ses notes de voyage, raconte un fait de même nature, et qui prouve bien ce redoublement d’exaltation, de sensibilité à la fois généreuse et maladive pour tout ce qui se rattachait à l’héroïque période de sa vie. Nous avons raconté son arrestation à l’Opéra de Paris en 1748 ; lorsque le comte de Vaudreuil accomplit cette indigne mission qui arrachait des cris de douleur et de honte à Voltaire, il avait auprès de lui son jeune fils ; or il y avait entre le père et le fils une ressemblance extraordinaire qui s’accusa plus fortement encore avec les années. En 1787, M. de Vaudreuil le fils visitait Rome avec la duchesse de Polignac, l’amie de la reine Marie-Antoinette, la gouvernante des enfans de France. « Il eut, dit Joseph Gorani, l’indiscrète pensée de se présenter chez Charles-Edouard, et la duchesse d’Albany, ignorant ces détails, l’introduisit, elle-même dans le salon de son père. » Dès qu’il entra, le prince, à l’aspect de cet odieux visage dont les traits étaient si cruellement gravés dans sa mémoire, crut voir se dresser en face de lui toutes les apparitions des mauvais jours. L’émotion était trop poignante, le vieillard s’évanouit. Certes ce n’était plus ce personnage vulgaire qui contait ses aventures après boire et chez qui le héros s’était changé en roi de comédie. On sent un cœur ici, on voit un homme qui se relève pour espérer encore et pour souffrir. Il espérait toujours en effet, contre toute espérance. Précisément vers cette époque, au moment où il ne lui restait plus qu’un dernier souffle, il avait placé sous son lit une cassette renfermant 12,000 écus, destinés, disait-il, à son retour en Écosse. Cette folle pensée, si on la juge au point de vue moral, n’est-elle pas un trait qui nous touche ? Il comprenait qu’une seule période de sa vie avait été véritablement digne d’un homme ; il voulait mourir debout, son drapeau à la main, pour effacer les misères de son passé.

Il était trop tard pourtant, même au point de vue moral. Ces retours d’émotions généreuses et de viriles ardeurs étaient entremêlés d’abattemens qui annonçaient une crise suprême. Le 7 janvier 1788, il fut atteint d’un coup de sang ; d’autres attaques survinrent, et après trois semaines de souffrances il expira, le 30 janvier, entre les bras de sa fille. Son corps fut exposé dans la maison mortuaire. On avait placé sur le cercueil un sceptre et une couronne, avec la décoration de l’ordre de la Jarretière. L’inscription funéraire ne contenait que ces mots : Carolus III Magnœ Britanniœ rex. La dépouille mortelle fut transportée à Frascati, dans l’évêché du