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sans contredit l'Histoire naturelle des Poissons de MM. Cuvier et Valenciennes : les espèces y sont décrites avec autant de clarté que de savoir, et ce beau livre ne cessera jamais d’être la première base de toute étude sérieuse ; mais, sur les mœurs des poissons, sur la manière dont ils se reproduisent, sur les rapports des espèces entre elles, sur la géologie, la température et la flore des fonds qu’elles affectionnent ou qu’elles fuient, sur les causes déterminantes des goûts sédentaires des unes, des migrations des autres, les illustres auteurs n’ont pu dire que ce qu’on sait, c’est-à-dire assez peu de chose.

La profondeur et l’obscurité des eaux s’interposent entre nos faibles yeux et les secrets qu’il s’agit de pénétrer, et les plus instruits en pareille matière sont peut-être d’humbles pêcheurs qui, forcément aux prises avec les difficultés de leur existence, observent sans cesse les allures de leur proie, afin d’apprendre à la mieux saisir. Je voudrais ici me mettre à leur suite, étudier l’ichthyologie sous ses aspects les plus vulgaires, dans ses destinations les plus prosaïques, conduire, pour ne rien dissimuler, le lecteur qui aura le courage de me suivre de la hutte du pêcheur dans la cuisine du plus humble ménage : l’une est le point de départ, l’autre le but de la course, et si, chemin faisant, nous trouvons quelques points de vue qui nous sourient, nous le devrons uniquement au charme providentiel qui s’attache à la contemplation des moindres œuvres de Dieu.


I. — NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT DU POISSON.

La nature répand les germes en quantités innombrables ; mais à peine éclos, des multitudes d’ennemis viennent les assaillir, et c’est par des réactions perpétuelles entre les excès de la production et ceux de la destruction que se maintient l’harmonie entre les êtres capables de se reproduire. Si dans le règne végétal où le règne animal une seule espèce était soustraite à cette loi, elle envahirait bientôt toute la surface de la terre. Que resterait-il aux autres végétaux, si tous les glands devenaient chênes, aux autres animaux, si tous les œufs devenaient coqs et poules ? Ce désordre est prévenu en ce que les germes, graines ou œufs, sont la principale nourriture des animaux : les espèces se limitent ainsi entre elles en se disputant la nourriture disponible. Les carnassiers arrêtent l’excès de multiplication des herbivores, et périssent eux-mêmes lorsque leurs victimes deviennent trop rares.

L’amplitude du balancement entre la force d’expansion et les causes de destruction des espèces est beaucoup ; plus grande dans le