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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/307

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le lit où elle se meut ne suffirait point à la contenir ; mais telles sont les causes destructives multipliées autour de ce fretin, qu’il y a presque à s’étonner de la conservation de l’espèce. À peine condensés dans les courans d’eau douce, nos nuages d’anguillettes sont assaillis par des myriades d’ennemis : tous les poissons carnassiers ou non en sont avides, les oiseaux d’eau s’en gorgent, et l’homme se montre plus destructeur qu’eux tous ; on voit souvent, au moment de la montée, des chariots se diriger vers les fermés, chargés du fretin qui servira de pâture à la volaille, aux porcs, ou d’engrais aux terres. Pour pêcher des quantités indéfinies de ces embryons, il suffit alors de plonger sur leur passage des filets à la main, et ils s’emplissent comme des écumoires.

L’anguille ne se plaît pas dans les eaux vives : aussi, en remontant dans les fleuves, s’arrête-t-elle presque aussitôt qu’elle sent les courans, ordinairement amortis à l’approche de la mer, couler avec rapidité ; elle n’y poursuit du moins sa course que lorsque son instinct lui révèle le voisinage d’eaux tranquilles qu’elle sait promptement atteindre. C’est ainsi que dans le Rhône elle ne dépasse guère Avignon que pour pénétrer dans les canaux d’arrosage qui font du bassin de la Sorgue une petite Lombardie. Très multipliée, dans le bas du fleuve, elle est très rare dans le haut ; elle trouve sur les côtes de l’Océan des eaux qui lui conviennent davantage. De l’embouchure de la Vilaine à celle de la Gironde, elle s’établit en innombrables essaims dans les eaux saumâtres et marécageuses des vieilles alluvions de la Bretagne, du Poitou et de la Saintonge, elle en ferait autant dans les canaux de dessèchement des terres basses qui s’égouttent au nord du cap Grisnez par les chenaux de Calais, de TAa et de Dunkerque, si le système de construction des écluses lui en facilitait davantage l’accès ; elle entre dans les marais du golfe de Gascogne, mais elle n’y trouve personne pour la pêcher. Des eaux non moins propres à la recevoir sont disséminées sur d’autres points des côtes et dans l’intérieur du territoire ; elles formeraient, si elles, étaient réunies, d’immenses étendues, mais il n’y a point à regretter un morcellement qui facilite la distribution des produits. Dans le voisinage de la mer, l’empoissonnement se fait tout seul ; et les migrations alternatives de l’anguille de l’eau salée dans l’eau douce et de l’eau douce dans l’eau salée se prêtent à l’établissement d’un système d’exploitation dont les lagunes de Comacchio, sur l’Adriatique, offrent le plus parfait modèle[1] ; il ne faudrait pour l’importer

  1. M. de Sacy, consul de France à Venise, a donné en 1833, dans les Annales maritimes une description détaillée des pêcheries de Comacchio, et en 1855 le ministère des travaux publics a fait imprimer à un trop petit nombre d’exemplaires un travail beaucoup plus complet de M. Coste sur la même exploitation.