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chez nous que des constructions peu dispendieuses sur les émissaires des eaux peuplées d’anguilles, et peut-être la naturalisation de poissons destinés, comme l’aquadelle[1], à en alimenter de plus forts. L’ensemencement des eaux éloignées de la mer exige d’autres soins : les embryons qui s’accumulent au printemps dans les embouchures des rivières sont très vivaces dans leur faiblesse ; ils se conservent pendant plusieurs jours dans des mousses ou des herbes humides, sont transportables par les chemins de fer sur les points les plus reculés du territoire, et, remis dans l’eau, acquièrent rapidement la force et l’agilité nécessaires pour échapper à leurs ennemis. Avec un bon système d’expéditions, le millier d’anguillettes rendu à destination ne reviendrait pas en moyenne à plus d’un franc Aucun des poissons dont la chair vaut celle de l’anguille ne lui dispute le séjour des eaux stagnantes qu’elle recherche, aucun ne sait atteindre dans la vase et dans les fonds herbeux les larves et les insectes aquatiques dont elle se nourrit de préférence ; elle occupe par là entre les habitans des eaux une place qui ne serait pas remplie par d’autres, et il résulte de cet ensemble de faits que la production de cet excellent poisson peut être poussée très loin dans notre pays.

L’anguille ne se consomme guère en France que fraîche, mais il est ailleurs des pêcheries qui ne parviennent à placer les produits d’une saison qu’en les répartissant sur toute l’année, et en les exportant au loin. Telles sont sur l’Adriatique les pêcheries des lagunes de Comacchio, en Allemagne celles du Weser, de l’Elbe, de l’Oder. Les pêcheries allemandes alimentent un commerce de poisson fumé qui, après avoir approvisionné leur voisinage, atteint, dans les années d’abondance, jusqu’au bassin de la Méditerranée. Les causes de la richesse de ces fleuves et de la pauvreté des nôtres sont mal connues. Il ne paraît pas que dans l’Elbe ou l’Oder l’affluence du fretin soit plus grande que dans la Seine ou la Loire : pourquoi ces germes se développent-ils si mal chez nous ? C’est un secret qu’il faudrait apprendre de nos voisins d’outre-Rhin.

Tandis que l’anguille fraie dans la mer et grossit dans l’eau douce, l’alose fait l’inverse. On la trouve sur toutes nos côtes occidentales et dans tout le bassin de la Méditerranée. Longtemps cachée, comme le hareng, dans des retraites profondes, elle ne se rapproche de la côte que lorsqu’elle atteint une taille de 30 à 40 centimètres ; ses essaims se réunissent au printemps dans les anses voisines

  1. L’aquadelle atkerina, Linn.) est un très petit poisson qui vit d’animalcules imperceptibles : il est dans les lagunes de Comacchio la principale pâture de l’anguille, et s’y multiplie à tel point qu’on l’emploie par batelées à l’engrais des terres dans le duché de Ferrare.