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compta jusqu’à quatre cents, et la troisième année, en 1857, un fermier demanda à louer la pêche du saumon 500 livres sterling. » Peut-être existe-t-il d’autres moyens moins directs d’appeler le poisson de mer dans les eaux douces. La nature nous montre quelquefois un coin de ses secrets comme pour nous encourager à découvrir le reste. M. Emile Martin, fort connu par les progrès que lui doivent les arts métallurgiques, est un observateur d’une sagacité peu commune. Se trouvant aux forges de Sireuil-sur-Charente, entre Angoulême et Cognac, il vit ses ouvriers vivre presque exclusivement de poisson, et apprit que chaque printemps en ramenait pour eux l’abondance : ceux qui profitaient le plus de ces migrations chroniques cherchaient, sans y réussir, à en pénétrer les causes. M. Emile Martin, à qui l’on a rarement proposé un problème sans en obtenir la solution, reconnut bien vite que les poissons remontaient la Charente à la suite de myriades de petits crabes dont ils faisaient leur proie ; malheureusement il ne poussa pas plus loin son investigation. Les crabes attiraient le poisson ; mais par quoi les crabes eux-mêmes étaient-ils attirés ? — Il ne fallait pour le savoir qu’un peu de persévérance. Les poissons et les crabes ne procèdent pas comme nous autres hommes : quand ils se mettent en route, ce n’est jamais sans une bonne raison de le faire, et les crabes qui passaient devant Sireuil flairaient infailliblement dans le haut de la rivière quelque pâture cachée. Il est pénible d’avouer que les crabes savent des choses que nous ignorons ; mais nous avons de plus qu’eux le don d’apprendre, et il nous conduira, quand nous voudrons, vers les appâts qui déterminent leurs voyages. Cette conquête de leur secret recevrait bientôt sa récompense : en semant aux sources des rivières les substances qui allèchent directement ou indirectement le poisson, nous lui ferions promener l’abondance sur toute l’étendue de leurs rivages.

Les causes et les procédés des migrations des poissons sont une des branches de l’histoire naturelle où il reste le plus de découvertes à faire, et à considérer cette question dans ses rapports avec les besoins de l’homme, il n’en est pas de plus digne d’être étudiée. Si longue que soit pourtant la tâche à remplir, nous en savons dès à présent assez pour reconnaître l’étendue du mal effectif, pour en arrêter le progrès et pour regagner promptement tout le terrain perdu : il ne s’agit que de vouloir.


III. — ACCLIMATATION DU POISSON ET STABULATION.

Un temps viendra sans doute où la pisciculture aura des fantaisies comme en a l’horticulture. Pour le moment, sa mission doit bien moins être de rechercher des curiosités que de multiplier ce