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comme une de ces acquisitions précieuses dont la conservation ne saurait se payer trop cher, on lui avait construit des viviers, et l’on prenait pour l’y retenir toute sorte de précautions ingénieuses ; mais un jour, on fut étrangement surpris d’en trouver garnis plusieurs des cours d’eau de l’île : quelques gouramis fugitifs avaient opéré ce prodige sur une échelle d’autant plus large que les individus se reproduisent quelques semaines après leur naissance.

Un poisson recommandable à tant de titres ne pouvait pas être négligé par le bailli de Suffren, gourmand, et ce n’est pas peu dire, entre tous les officiers de la flotte. Non moins grand homme de table que grand homme de mer, il estimait la conquête du gourami à l’égal de celle d’une province, et fit faire, vainement, hélas ! pendant son commandement dans l’Inde, sept envois de gouramis vivans en France. Lui-même voulut en ramener en 1783, pour les offrir au roi ; mais cette précieuse cargaison ne passa pas le cap de Bonne-Espérance, et il ne rapporta qu’un plan d’acclimatation qui consistait à échelonner de petites colonies de gouramis dans les eaux des côtes d’Afrique et d’Amérique, d’un côté jusqu’à la Méditerranée, de l’autre jusqu’aux Antilles. La révolution vint bientôt ruiner ce projet.

En 1819, le capitaine de vaisseau Philibert se chargea d’introduire le gourami dans les Antilles françaises : il en embarqua cent à l’Ile-de-France, en perdit vingt-trois en route, et versa le complément dans les eaux de la Martinique. Les comptes-rendus de l’opération en attestent le succès. Il est pourtant certain que le gourami n’existe plus à la Martinique ni à la Guadeloupe ; il en a disparu silencieusement, au bout d’une quinzaine d’années, sans qu’on ait, que je sache, étudié les causes et les circonstances de cette extinction locale de l’espèce.

Les Anglais ont fait tout récemment, en 1860, une tentative pour transporter en Australie le gourami, que nous installions, il y a près d’un siècle, dans notre ancienne Ile-de-France. Médiocres physiciens, les acclimatateurs anglais avaient compté sur l’eau distillée pour le renouvellement de l’eau naturelle où Ils avaient placé leur poisson au départ : à peine immergés dans ce liquide, les gouramis sont tombés asphyxiés. Un échec reçu dans de telles conditions n’est assurément fait pour décourager personne, et la persévérance britannique