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contre la France révolutionnaire. L’empereur d’Autriche François Ier l’avait décoré d’une médaille militaire, de la croix de Marie-Thérèse, et doté d’une baronnie autrichienne. Capitaine en 1796 ; il n’était rentré en Angleterre que pour s’enquérir du service le plus actif et le plus propre à mettre en relief sa dextérité courageuse, ses talens d’ordre composite. Il n’était pas de l’étoffe solide, unie, un peu grossière, dont selon les « simples soldats » (ceux-là mêmes qui ont dans leur giberne le bâton de maréchal). Plus délié, plus retors, moins scrupuleux sur le chapitre de la loyauté stricte, de l’honneur intraitable, Robert Wilson était un aventurier militaire, propre à servir d’agent politique, et sous l’uniforme duquel on pouvait cacher au besoin un diplomate de hasard. Ces capacités ambiguës, ces rôles mixtes ont quelque chose de déplaisant. On n’aime pas à trouver sous la curasse un artisan d’intrigues et un rapport chiffré dans la sabretache d’un hussard. Ceux qui emploient ainsi des hommes « à double tranchant » se refusent à les avouer hautement, hésitent même à leur décerner les récompenses destinées à des services rendus en pleine lumière, sans déguisement et sans masque. Signalé par sa bravoure aventureuse[1], associé à tous les exploits d’un des corps d’élite de l’armée anglaise, major (par achat) dès la première année du siècle, ayant servi déjà en Belgique, en Irlande pendant l’insurrection, dans la Méditerranée, en Égypte, au Brésil, devant le cap de Bonne-Espérance, sir Robert Wilson n’était encore que lieutenant-colonel quand il débuta comme diplomate, sous les ordres de lord Hutchinson, envoyé à Berlin, et avec lequel il faillit, pour la troisième fois de sa vie, périr en mer, dans les eaux du Cattegat. De Memel, où ils débarquèrent ensemble, lord Hutchinson l’envoya en qualité de commissaire anglais au quartier-général de l’armée russe. Tantôt à ce poste, tantôt au milieu des armées autrichiennes, renouant de son mieux les fils à chaque instant brisés des coalitions, du Nord, il avait fait toutes les campagnes qui précédèrent la paix de Tilsitt. À Preiss-Eylau, à Heilberg, à Friedland, il assistait, témoin impassible de ces grands massacres ; il y représentait l’Angleterre, impérieuse, exigeante, demandant compte de ses subsides, et dans ses balances rigoureux sèment exactes pesant, comme Shylock, la livre de chair humaine contre l’once d’or.

Nous venons de le voir sur le radeau de Tilsitt écouter aux portes.

  1. Robert Wilson était de ce fameux « peloton » qui tenta, lorsque Pichegru marchait sur Bortel, d’enlever le quartier-général de l’armée française. Quelques aides-de-camp, le secrétaire de Pichegru, plusieurs gendarmes, furent pris, et, nonobstant la poursuite acharnée de plusieurs régimens de cavalerie, emmenés jusqu’aux postes avancés de l’armée anglaise.