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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/354

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(la paix de Bucharest, du 28 mai 1812, était à peine ratifiée le 10 juillet, au moment où sir Robert Wilson partait de Constantinople), le refuserait certainement. On pouvait sans doute forcer ce passage ; mais le faire sans la connivence secrète du gouvernement turc, ou sans une intelligence, également secrète, avec le gouvernement autrichien, ce serait une « aventure » impolitique et hasardeuse. « Je crois, ajoutait-il, que l’amiral (Tchichagov) en a fait l’objet d’une menace en l’air » mais qu’il n’y a jamais sérieusement songé : » en quoi l’agent anglais se trompait du tout au tout, comme on vient de le voir. Un autre souci le préoccupait, et l’on y retrouve la trace de la jalousie britannique que met toujours en éveil le développement maritime des autres nation ? « Je ne suis pas compétent, ajoute-t-il par voie d’insinuation, pour décider jusqu’à quel point il convient de rétablir les Russes sur l’Adriatique ; mais c’est avec plaisir que j’exécuterai les instructions de M. Liston consistant à dépopulariser ce projet soit à Bucharest, soit à Wilna, jusqu’à ce que la décision de votre seigneurie (ou de l’officier qui commande en Sicile) me soit définitivement connue[1]. »

En soixante et dix heures, presque sans quitter la selle, le hussard-diplomate avait franchi la distance qui sépare Constantinople de Schoumla. Il y trouva le grand-vizir Achmet-Pacha, qui, dans une seule journée, lui accorda deux longues audiences. La question à éclaircir était principalement celle-ci : la paix de Bucharest était-elle sincèrement, solidement conclue ? Les Turcs regrettaient-ils, désiraient-ils quelques concessions ? L’envoyé de Napoléon, Andréossi, qui allait tout mettre en œuvre pour anéantir cette paix si funeste aux projets du conquérant, trouverait-il la Porte inébranlable dans sa bonne foi ? Le grand-vizir protesta que rien désormais ne pouvait porter atteinte à la décision qu’il avait prise. Il s’était assuré pendant la négociation avec Kutusov des sinistres projets de partage auxquels la France avait accédé, auxquels même elle avait convié l’Autriche en lui promettant la Servie. Il ne voulait plus croire à cette amitié perfide, démentie par les clauses secrètes de Tilsitt. D’ailleurs la Turquie avait besoin de repos. Quelques années de neutralité lui étaient indispensables pour travailler à sa réorganisation. Certaine de pouvoir se défendre, satisfaite de se voir restituer la Moldavie et la Valachie, que l’empereur Alexandre avait solennellement annexées à ses états r elle renonçait de bonne foi à la Bessarabie et acceptait le Pruth pour la frontière nouvelle des deux empires, Tout au plus demanderait-elle (et sans insister au-delà d’une certaine mesure) que la Servie, alors également aux mains

  1. Lettre de sir R. Wilson au marquis de Wellesley. — Péra, 19 juillet 1812.