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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/356

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l’enviée, la redoutable alliance anglaise, toute récente encore (18 juillet 1812), et par là même investie de tout son prestige. Il y portait la connaissance parfaite du terrain et des hommes, l’aplomb d’un agent rompu aux missions les plus délicates, le coup d’œil militaire acquis dans mainte campagne. Comment ne pas l’y suivre avec quelque intérêt ?


I

La première dépêche de sir Robert Wilson, écrite sur le théâtre de la guerre, fut datée de Smolensk. Il croyait l’empereur au quartier-général de l’armée russe ; mais après l’évacuation du camp retranché de Drissa, las du rôle que lui faisait la prudence de Barclay de Tolly, rebuté par ces manœuvres stratégiques qui consistaient à reculer sans cesse, à se dérober, à quitter des positions choisies d’avance, armées, préparées pour le combat, Alexandre était parti de Polotsk, le 18 juillet, pour courir à Moscou et y réveiller l’enthousiasme national qu’il fallait prémunir contre un découragement bien naturel. Depuis près d’un mois par conséquent, Barclay de Tolly manœuvrait sous sa propre responsabilité, opposant aux imprécations dont il était l’objet, aux âpres censures de Bagrathion, aux invectives de Platov, aux rumeurs hostiles, à l’indiscipline naissante de l’état-major, une fermeté passive, une résignation dédaigneuse. De plan bien arrêté, bien préconçu, il n’en avait peut-être pas ; mais les nécessités de chaque jour lui inspiraient cette tactique suivie à laquelle, en définitive, les Russes ont dû le salut de leur armée et la ruine de la nôtre. Livrer bataille, c’était, pour Barclay de Tolly, faire anéantir son corps d’armée. Il eût perdu pour le moins autant d’hommes que Kutusov en laissa tuer autour de Borodino, et sacrifier quarante mille hommes au mois de juillet ou d’août, c’était rendre toute résistance impossible pour le reste de la campagne. La marche des Français s’accélérait immédiatement ; les événemens se pressaient : ils ne laissaient plus au gouvernement russe le temps nécessaire pour amener en ligne ces nombreuses recrues qui comblèrent plus tard les vides faits dans les rangs de son armée par des combats meurtriers. Nous arrivions plus tôt à Moscou, si tant est que le but de la campagne fût resté le même, ce dont il y a tout lieu de douter. La jonction des forces destinées à manœuvrer sur la ligne de retraite de l’armée française devenait problématique. Bref, toutes les chances étaient bouleversées, et le hasard, ce dieu des batailles, pouvait, une fois de plus, justifier les témérités de l’homme qui lui avait arraché déjà tant de faveurs inouïes.

On sait comment s’engagea l’affaire de Smolensk. Barclay de Tolly,