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vint me voir, et il me communiqua trois dépêches en date du 21 mars qu’il venait de recevoir du comte de Nesselrode : deux de ces dépêches roulaient sur les affaires de Servie et de Valachie, alors vivement agitées ; la troisième, qui fut la première dont M. de Kisselef me donna lecture, avait trait à la discussion que nous venions de soutenir dans les chambres sur les fonds secrets. Je le reproduis ici textuellement.


« Le comte de Nesselrode à M. de Kisselef.

« Saint-Pétersbourg, 21 mars 1843.

« Monsieur,

« Je profite de l’occasion d’aujourd’hui pour vous accuser la réception de vos rapports jusqu’au n° 17 inclusivement et vous remercier de l’exactitude avec laquelle vous nous avez mis au courant des derniers débats des chambres françaises. Nous attendions avec intérêt et curiosité l’issue de la discussion à laquelle était attaché le sort du ministère actuel, et nous voyons avec satisfaction, monsieur, que, d’accord avec nos propres conjectures, le résultat de cette épreuve s’est décidé en faveur du gouvernement. Je dis avec satisfaction, parce que, bien que M. Guizot en particulier n’ait peut-être point pour la Russie des dispositions très favorables, ce ministre est pourtant, à tout considérer, celui qui offre le plus de garantie aux puissances étrangères par sa politique pacifique et ses principes conservateurs. Il a donné, dans la dernière lutte parlementaire, de nouvelles preuves de son talent oratoire, et rien ne s’oppose, monsieur, à ce que vous lui offriez à cette occasion les félicitations du cabinet impérial.

« Recevez, etc. »


Je ne pouvais pas ne pas être frappé de cette avance toute personnelle, peu usitée, et que rendait encore plus singulière l’incident de l’année précédente, où l’empereur Nicolas s’était montré si blessé de l’attitude qu’avait prise, d’après mes instructions, la légation française. La dépêche lue, je dis à M. de Kisselef :


« Je vous remercie de cette communication. Je prends la dépêche de M. de Nesselrode comme une marque de sérieuse estime, et j’y suis fort sensible ; mais, permettez-moi de vous le demander, qu’entend M. de Nesselrode par mes dispositions peu favorables pour la Russie ? Veut-il parler de dispositions purement personnelles de ma part, de mes goûts, de mes penchans ? Je ne puis le croire. Je n’ai point de penchant pour ou contre aucun état, point de dispositions favorables ou défavorables pour telle ou telle puissance. Je suis chargé de la politique de mon pays au dehors. Je ne consulte que