Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’honneur, tout cela peut être décisif pour finir une guerre, tout cela est sans valeur dans une controverse. Il y faut des thèses inflexibles et des argumens péremptoires ; nulle part ne se manifeste plus clairement la différence de la logique au sens commun.


III

Du moins sur le terrain de cette polémique spéculative, c’est-à-dire du raisonnement rigoureux, la théologie orthodoxe est-elle assurée d’avoir raison de l’hérésie ? Il y aurait alors quelque motif pour choisir exclusivement une arme dont on aurait la certitude d’être seul à bien user ; mais il n’en est rien, et tout soumettre, en matière de religion, à la dialectique, c’est faire entrer l’ennemi dans la place, et en d’autres occasions on en a souvent fait l’aveu.

Il y a en effet des objections graves, et qui sont presque des fins de non-recevoir, contre la tentative de traiter uniquement par les procédés scientifiques les questions où la religion révélée est intéressée. D’abord, toute controverse logique suppose que de part et d’autre de pures intelligences sont en présence, également libres de tout engagement autre que celui de céder à l’évidence du raisonnement. Or cette hypothèse, dans le cas dont il s’agit, n’est jamais réalisée. Jamais il n’y a parité de disposition morale et de liberté intellectuelle entre celui qui argumente pour sa foi et celui qui soutient sa philosophie. Le second doit être tout prêt à se rendre, s’il est convaincu ; il fait profession de passer sans hésitation du côté où on lui montre la vérité. Aucun serment, aucun scrupule, aucun sentiment de respect, de conscience ou d’habitude ne lui rend sacrée la thèse qu’il défend. Il est libre ; s’il ne l’est pas, il doit l’être, et c’est un tort dont il tient à se préserver, à se justifier. Le premier au contraire ne se défend pas d’être attaché par le devoir le plus impérieux à la foi pour laquelle il combat. Il la regarde comme le plus grand bien de ce monde, comme celui auquel tout doit être sacrifié. Il se dit prêt à donner sa vie pour sa croyance et ne parle pas sans horreur de la possibilité d’y renoncer. C’est du moins sa profession constante, invariable, et en entrant dans la discussion sa raison se déclare enchaînée par sa conscience. Les deux parties contondantes ne sont donc pas sur le même pied : l’une n’a aucune chance de convaincre l’autre, mais en revanche la résistance de celle-ci est de peu de poids, puisqu’elle est obligée et annoncée d’avance. Entre le philosophe qui ne fait point vœu de ne se pas convertir et le fidèle qui a prêté serment de ne point abjurer, la partie n’est nullement égale : mais aussi l’autorité ne l’est pas non