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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/457

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à quel point ses récens revers avaient ébranlé la confiance publique, entamé son prestige et affaibli son autorité. Ce n’était pas seulement par la haine de ses ennemis directs et notoires qu’il se sentait menacé. Il remarquait chez ses partisans les plus dévoués des marques évidentes de lassitude, et dans le gros de la nation une impatience toute nouvelle du joug longtemps porté. Au sein même du groupe nombreux et d’ordinaire si docile des fonctionnaires publics, il démêlait une vague préoccupation des chances de l’avenir et la secrète résolution de se mettre à même d’en profiter, De plus nobles mobiles, car ils avaient le salut du pays pour objet, agitaient les députés du corps législatif, qu’il avait récemment convoqué, et dans un moment de brusque colère presque aussitôt ajourné. Tout près de lui, parmi les grands dignitaires de l’empire qui jadis avaient le mieux servi ses desseins et donné le plus de gages à sa personne, deux hommes considérables, depuis longtemps écartés de ses conseils, Fouché, duc d’Otrante, et le prince de Talleyrand, lui étaient à bon droit devenus particulièrement suspects. Il n’avait guère plus à se louer des membres de sa famille. Murat était à l’état de trahison presque ouverte, et c’était la reine de Naples, propre sœur de l’empereur, qui avait noué ses intelligences avec la cour de Vienne[1]. Louis, séparé de la reine de Hollande et brouillé avec son frère, s’était retiré de Suisse à Paris, où il vivait obscurément sans mettre les pieds aux Tuileries[2]. Joseph, relégué dans une sorte d’exil à Morfontaine, maintenait tant qu’il pouvait ce qu’il appelait ses droits à la couronne d’Espagne ; il épiloguait longuement sur les termes de la renonciation qui lui était demandée par l’empereur, laissant voir fort peu d’empressement à venir, en simple prince français, habiter le palais du Luxembourg et présider, comme lieutenant-général pendant l’absence de son frère, les conseils de l’empire[3]. Jérôme, mis aux arrêts dans son propre palais de Cassel, en 1810, par suite de querelles domestiques, rentré en faveur pendant la campagne de Russie, où il s’était bravement comporté, avait quitté tout à coup l’armée en mécontent ; puis, chassé de son royaume de Westphalie, après avoir erré longtemps sur les bords du Rhin, réfugié maintenant au château de Compiègne, il n’avait pas encore été trouvé digne d’être admis à l’honneur de la présence impériale[4].

Pour raffermir tant de courages vacillans, pour prévenir tant de

  1. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVII, p. 97 et suivantes.
  2. Mémoires du comte Miot de Mélito, t. III, p. 325-326.
  3. Mémoires et Correspondance politique du roi Joseph, t. X, p. 2 et suiv. — Mémoires du comte Miot de Mélito, t. III, p. 309 et suivantes.
  4. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XV, p. 95. — Mémoires du comte Miot de Mélito, t. III, p. 308.