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négociations entamées pouvaient entraver un si glorieux dénoûment, il avait résolu de les interrompre à tout prix.

À la reprise des conférences, le 17 février, il se trouva cependant que, trop confiant dans son influence, l’empereur Alexandre avait, en définitive, été obligé de céder aux remontrances de ses alliés. Comme il arrive d’ordinaire quand les plus raisonnables refusent de suivre l’avis du plus impétueux, ceux-ci avaient été de leur côté conduits à lui faire eux-mêmes quelques concessions. Dans la déclaration, concertée entre les alliés, dont le plénipotentiaire autrichien donna lecture au duc de Vicence, l’armistice était accordé pour le cas où l’empereur accepterait immédiatement les limites de 1790 ; mais, dans le projet de traité préliminaire joint à cette déclaration, il était particulièrement stipulé (art. 5) que la France ne pourrait aucunement intervenir, soit dans la distribution entre les alliés des territoires cédés par la France, soit dans les limites et les rapports que ces pays auraient entre eux. Énoncées quelques jours plus tôt, ces propositions auraient peut-être pu conduire à la paix ; à l’heure où elles étaient produites, de graves événemens étaient survenus qui changeaient encore une fois, sinon, hélas ! le fond même des choses, tout au moins les chances de la guerre, et plus certainement encore les dispositions de Napoléon.

Après ses victoires de Champaubert et de Montmirail, l’empereur s’était empressé de retirer ses pleins pouvoirs au duc de Vicence. Après son retour heureux sur la Seine et la déroute des alliés à Nangis et à Montereau, sa confiance s’étant démesurément accrue, il ne voulait plus entendre parler de négociations de paix, encore moins d’armistice. « Ces misérables, écrivait-il à son frère Joseph en parlant de ses ennemis avec plus de colère que de dignité, tombent à genoux au premier échec[1]. » Il était maintenant décidé à ne rien accorder en dehors des bases de Francfort. Il n’aspirait pas seulement à rejeter les étrangers hors de notre territoire, vœu patriotique que formaient tous les bons citoyens : à ce retour inattendu de la fortune, il semblait que le démon de la guerre se fût de nouveau emparé de lui. À peine échappé aux périls imminens d’un affreux désastre, il rêvait des conquêtes. « Croyez-moi, mandait-il à son frère, je suis plus près de Vienne que les Autrichiens ne le sont de Paris[2]. »

Il y avait beaucoup d’exagération et peut-être de jactance calculée dans ces propos de l’empereur. Cependant il était vrai qu’une sorte de consternation et de stupeur paralysait en ce moment les

  1. Lettre de Napoléon à Joseph, Nangis, 18 février. — Mémoires du roi Joseph, t. X. p. 13.
  2. Mémoires du comte Miot de Mélito, t. III, p. 339.