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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/541

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de souverains qui se promènent aujourd’hui en Europe, j’irai leur tenir compagnie. » Une scène singulière révélait vers ce moment d’une façon plus vive les agitations intérieures de ce jeune souverain. Le prince Wolkonski, ministre de Russie, venait d’arriver à Naples ; il fut reçu en audience royale, et François II, allant vers lui, dit brusquement : « Eh bien ! prince, vous venez ici pour assister à nos funérailles. Du reste, si cela continue ainsi, nous aurons bientôt à rendre le dernier devoir à la Russie. » Le prince Wolkonski, un peu surpris, répondit qu’il ne savait s’il y aurait des catastrophes à Naples, mais que la Russie, quant à elle, était fort bien portante. Le roi François vivait dans ces alternatives, tantôt parlant de sa chute avec une sorte de dégagement ou avec amertume, tantôt se reprenant à l’espoir, et alors paraissant disposé à tenter un effort suprême de défense par une concentration de ses forces à Messine en Sicile, à Gaëte sur le continent, attendant toujours de la tentative de médiation qu’il venais de faire un résultat qui, bien que prévu par lui, le troublait singulièrement.

Cette médiation, au surplus, offrait des difficultés ou des inconvéniens de plus d’une sorte : elle venait tardivement d’abord ; elle introduisait dans les rapports entre le souverain des Deux-Siciles et son peuple ou l’Italie la puissance d’une volonté étrangère, dont l’intervention serait nécessairement dépourvue de toute sanction matérielle, et risquait fort d’être illusoire, si elle n’était qu’un conseil, un acte de bon office ; elle laissait trop voir la pensée d’attirer la France dans une action isolée, distincte de celle de l’Angleterre, dont elle ne voulait pas se séparer en ce moment, et enfin elle faisait perdre un temps précieux, pendant lequel tout s’aggravait en Sicile, où Garibaldi se préparait à pousser plus loin sa conquête, à Naples, où l’idée d’une révolution prochaine faisait chaque jour des progrès. Telle qu’elle était pourtant, cette médiation devenait un signe de la puissance des choses ; elle indiquait la seule voie où la royauté napolitaine pût désormais trouver quelque chance, puisqu’elle sentait éclater dans ses mains tous les moyens de résistance intérieure, puisqu’elle ne pouvait compter sur un appui décisif des puissances européennes, pas même sur l’appui de la Russie, qui faisait savoir au roi qu’elle le soutiendrait moralement, mais sans nulle coopération matérielle. Dès lors, en présence du flot montant, avec la seule spontanéité que lui baissassent les événemens, celle de la résignation, François II se décidait à faire de lui-même un pas de plus sans avoir à subir une médiation. Le 25 juin 1860, Naples se réveillait en apprenant tout à coup qu’une constitution était accordée, qu’un accord serait négocié avec le roi de Sardaigne, que les couleurs italiennes devenaient les couleurs du drapeau napolitain,