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un de ses amis, un homme d’un patriotisme éprouvé dans les persécutions, le marquis George Pallavicino ; puis, d’un autre côté, se livrant entièrement à M. Bertani, qui était accouru de Gênes, et qui était à Naples pour Garibaldi ce que M. Crispi avait été en Sicile, un lien avec Mazzini ; signant d’ailleurs des deux mains des décrets sans s’inquiéter des résultats, donnant raison à tout le monde, travaillant enfin, avec l’esprit le plus ingénument impropre aux affaires, à la confusion universelle. Aussi en peu de jours, l’anarchie avait envahi toutes les régions du pouvoir et de l’administration. Dans les provinces surtout, le désordre était immense. Il y avait des gouverneurs aux pouvoirs illimités, des pro-dictateurs qui s’élisaient eux-mêmes et qui bouleversaient tout, abolissant les impôts, changeant les lois, proclamant, l’un le statut sarde, l’autre le statut napolitain, un dernier la république ou quelque chose de semblable. Les actes et les décrets se contredisaient, et des fonctionnaires envoyés par le gouvernement étaient mis en prison dans les provinces. C’était une anarchie gigantesque, fantasque et quelquefois burlesque, dont les bourgeois de Naples commençaient à murmurer, redemandant l’ordre, la tranquillité, l’industrie, le commerce. Garibaldi s’y perdait, et quand il était à bout, il partait pour Caserte, où il avait placé ses bandes en face des troupes royales défendant encore le Volturne. Pour lui, tout était là ; le reste, la désorganisation d’un royaume, n’était rien, et s’il redevenait naturellement l’homme de la guerre, ce n’était pas seulement pour jeter le roi François II hors du sol napolitain, c’était pour aller plus loin, pour voler où l’emportait sa passion, vers Rome et vers Venise.

Or, à mesure que la question grandissait par l’extension du mouvement et par cette suite incroyable d’événemens qui pouvaient amener Garibaldi vers l’Italie centrale à la tête de ses volontaires, le Piémont se trouvait nécessairement conduit à prendre un parti. Cette nécessité naissait de la situation même du midi de l’Italie, de l’anarchie entretenue par l’incertitude dans les états napolitains, de l’attitude du dictateur, du travail des partis, et ici, on peut le voir, ce qui s’était passé en Sicile se reproduisait dans des proportions plus larges, dans des conditions de péril plus imminent. La révolution italienne apparaissait dans sa double tendance, dans ses deux politiques personnifiées en deux hommes : — l’un, nature spontanée et généreuse, mais emportée, inculte et violente, allant droit à son but avec la fixité d’une passion irréfléchie, méprisant toutes les formes de la politique, bravant la diplomatie, puissant d’impulsion et risquant souvent de tout compromettre par ses faiblesses, par ses intempérances irritées ; — l’autre, hardi dans sa modération, maniant depuis longtemps d’une main souple et ferme tous les intérêts de son pays, mettant toutes les ressources d’un esprit habile à faire