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reconnaître graduellement par l’Europe la révolution italienne dans toutes ses conséquences, ne craignant pas d’agir ni même d’accepter toutes les chances et tous les moyens, mais choisissant son heure, représentant merveilleusement en un mot le plus diplomate des révolutionnaires et le plus révolutionnaire des diplomates. Entre Garibaldi et M. de Cavour, le débat était engagé. Ce n’était plus une question locale qui s’agitait à Naples entre ceux qui demandaient l’annexion immédiate et ceux qui voulaient attendre que l’unité de l’Italie pût être proclamée au Quirinal : c’était une lutte entre Naples et Turin. Garibaldi était intraitable ; il s’emportait en violentes sorties contre M. de Cavour. Plus d’une fois on crut le tenir par ce ressentiment contre le chef du cabinet piémontais, et on essaya de l’attirer dans quelque piège tendu par les sectes ; mais c’est là encore un des caractères de cet homme singulier : il a une sorte de loyauté naturelle qui le garde contre toutes les faiblesses de l’esprit. Le premier mot qu’il dit à Mazzini à Naples, ce fut pour le féliciter de s’être rallié au roi Victor-Emmanuel. Un jour une députation qui s’intitulait le pays vint le haranguer pour lui demander un changement de ministres, et, allant plus loin, elle ajouta : « Puisque le Piémont ne veut pas faire de l’Italie entière un seul pays, nous vous nommerons dictateur à vie… » Garibaldi, avec la bonhomie d’un homme qui croit tout, livra les ministres, mais sur le reste il arrêta les harangueurs par son mot d’ordre : « Italie et Victor-Emmanuel. » C’était donc l’antipathie de deux politiques dans le développement de l’idée nationale, ce n’était pas une connivence révolutionnaire. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que dans ces deux politiques il n’y a rien d’inconciliable : elles se complètent au contraire sous le sceau de cette finesse italienne qui a conduit tant d’événemens récens. C’est ainsi, que les deux politiques, en paraissant toujours en guerre, marchent au même but et se rejoignent sans cesse.

Au moment où Garibaldi entrait à Naples, le Piémont, dis-je, était dans une de ces situations décisives ou une politique est sommée en quelque sorte de se dévoiler et de se dessiner : ce n’est pas seulement parce que le nom de Victor-Emmanuel et la croix de Savoie flottaient sur le drapeau des volontaires du midi ; c’était une condition du rôle même du Piémont dans les transformations contemporaines de l’Italie. Abdiquer ce rôle de guide et de modérateur des mouvemens italiens en abandonnant la révolution de Naples à elle-même, c’était livrer cette contrée à une immense anarchie, qui pouvait se propager dans toute la péninsule et préparer peut-être aux idées monarchiques une défaite qui serait devenue contagieuse, qui aurait pu n’être pas sans influence sur l’ordre européen lui-même. Laisser le dictateur des Deux-Siciles seul à Naples maître d’un mouvement