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temps, on trouve toujours plus de logique et de profondeur dans la formation des mots, et ce talent disparaît dans les pays civilisés et savans. « Les langues ont commencé, mais la parole jamais… Toute langue particulière naît comme l’animal, par voie d’explosion et de développement, sans que l’homme ait jamais passé de l’état d’aphonie à l’usage de la parole. Une nouvelle langue naît au milieu d’une société qui est en pleine possession du langage, et l’action ou le principe qui préside à cette formation ne peut inventer arbitrairement aucun mot ; il emploie ceux qu’il trouve autour de lui ou qu’il appelle de plus loin ; il s’en nourrit, il les triture, il les digère : il ne les adopte jamais sans les modifier plus ou moins. Il n’y a point de signes arbitraires ; tout mot a sa raison… Jamais un son arbitraire n’a exprimé ni pu exprimer une idée. Comme la pensée préexiste nécessairement aux mots, qui ne sont que les signes physiques de la pensée, les mots à leur tour préexistent à l’explosion de toute langue nouvelle, qui les reçoit tout faits et les modifie ensuite à son gré. » Toute langue est aussi ancienne que le peuple qui la parle ; elle est la même tant que le peuple est le même : le changement n’empêche pas l’identité. Il n’est point vrai que les langues soient pauvres dans leurs commencemens ; elles sont ce qu’elles doivent être. Tout peuple « a parlé précisément autant qu’il pensait et aussi bien qu’il pensait, car c’est une folie égale de croire qu’il y ait un signe pour une pensée qui n’existe pas, ou qu’une pensée manque d’un signe pour se manifester. »

Certes voilà un flot d’idées dont la nouveauté doit étonner, si l’on s’en rappelle la date ; nous y découvrons tout d’abord l’étrange nature de cet esprit, qui analyse peu, ne déduit point, s’appuie d’une érudition plus apparente que réelle, mais en revanche s’illumine par momens d’éclairs, et alors voit très loin. La révélation du langage ne lui apparaît point dans le sens étroit et tout extérieur de Bonald. Le langage pour lui est une force primitive de l’intelligence humaine ; il éclôt avec ses élémens essentiels et sa vitalité propre. Nous n’avons pas d’ailleurs à examiner si, par ces considérations diverses, il atteint son but, qui est d’établir à l’origine des choses un âge d’or où l’homme jouissait de la vision de Dieu et plongeait librement son regard dans les rayons de l’intelligence suprême ; nous voulons seulement constater que, selon sa pensée constante, reprenant pour ainsi dire le dogme en sous-œuvre, il le cherche, ici comme ailleurs et à sa manière, dans l’histoire générale et dans l’observation des lois de la nature humaine.

Ce procédé, il l’applique plus hardiment encore dans son explication du péché originel, qu’il appelle souvent aussi, d’après les théosophes, le crime primitif. Plus tard il nous dira combien il lui