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la science future. Il y a donc une révélation primitive et divine, qu’il n’est nullement nécessaire de concevoir comme extérieure et communiquée par une parole grossièrement matérielle du Créateur : l’être pensant fut créé plein de pensées ; la révélation religieuse est contenue dans la création de l’être religieux.

Mais quelle est la substance de cette religion primitive, quelle est la teneur implicite de ce symbole embryonnaire où s’ébauche la vie morale, et à quoi pourra-t-on la reconnaître ? Nous l’avons dit : à ces deux signes conjoints, l’universalité et la nécessité. Ce qui est nécessaire à l’agrégation des hommes, ce qu’on ne trouve absent d’aucune société, manquât-elle de tout le reste, ce sont les notions d’une cause souveraine, d’une Providence présente, d’un devoir réciproque, d’une destinée solidaire, et enfin d’une rémunération définitive par la persistance immortelle de la personne humaine. En vain s’efforce-t-on, sous prétexte que la formule, que le nom abstrait de tel ou tel de ces dogmes ne se rencontre qu’à telle ou telle époque, dans les monumens de tel ou tel peuple, d’en narrer la génération historique. Les formules abstraites, n’appartiennent point au langage inspiré des premiers âges, qui est concret et métaphorique, mais au travail réfléchi qui se fait plus tard sur les données primordiales. Les peuples, dans leur bégaiement d’enfance, avant de mettre leurs idées sous des formules ou même sous des mots, les mettent sous des rites et sous des actes. Quand l’homme conçut l’idée de la cause qui venait de le créer, il l’exprima par le cri ou l’attitude de l’adoration ; en priant, il confessa la Providence avant de la nommer ; par le châtiment soudain infligé au mal, il décréta la responsabilité ; la solidarité sociale eut pour figure le sacrifice, et l’immortalité des âmes s’affirma par la consécration des sépultures. Il n’est aucune tribu, il n’est surtout aucune cité, qui n’ait par ces rites et par ces actes fait son alliance avec Dieu ; on les grava sur les murs des temples, et ce fut l’origine de l’art d’abord, puis de l’écriture ; plus tard on les exprima par des formules, et ce fut l’origine de toutes les théologies d’abord, puis de toutes les philosophies.

Si Lamennais avait conçu dans ce sens et dans ces limites la révélation primitive, il aurait pu certainement la présenter comme un apport de la raison générale et comme l’invariable témoignage de l’autorité du genre humain ; mais pour son système polémique ce n’était point ce qu’il fallait. La révélation en effet ainsi comprise, quoique primitive assurément, n’est pourtant constatée pour nous que par l’étude de l’homme considéré en lui-même et dans l’histoire. C’est toujours un produit de cet examen qu’il condamnait, et de cette raison philosophique qu’il voulait réduire au silence sur ces matières. Elle ne contient pas d’ailleurs tous les élémens du christianisme ;