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disait-on à Rome, pendant que les martyrs souffraient, des larmes couler le long des portiques, on avait entendu des gémissemens sortir du sein de la terre. Les bourreaux refusaient leur office ; un juge se convertissait sur son siège. Galère lui-même, las de ses propres fureurs et frappé d’une maladie hideuse, publia le dernier édit de tolérance. Ainsi tout s’éclaire, tout devient net par ces considérations, et l’on reconnaît le cours naturel des choses humaines ; quelque atroces que fussent parfois les persécutions, elles n’offrirent pourtant point, vu la violence habituelle de ces temps, un caractère extraordinaire ; elles ne constituèrent point une guerre déclarée contre l’église naissante ; moins continues qu’on se l’imagine, elles furent plutôt l’émeute intermittente de la multitude inquiète et fanatisée que l’action préméditée des pouvoirs publics, et peut-être pourrait-on dire que, si elles firent passer les chrétiens par de douloureuses épreuves, elles furent aussi pour eux, en stimulant l’énergie, l’esprit d’union, la vigilance fervente, plutôt des forces de propagande que de véritables obstacles au progrès de la doctrine.


Nous pouvons maintenant montrer du doigt le point le plus avancé qu’ait atteint, sur les sommets de la littérature catholique, la marche commencée chez nous par Joseph de Maistre et Lamennais : ce point, c’est l’inauguration du principe de continuité dans l’histoire de l’église. Au rebours des nombreux travaux, très estimables d’ailleurs, de la science protestante, celui-ci s’accomplit, non point pour la démolition de la grande institution sacerdotale, ni pour substituer la froide nudité de l’unitarisme aux riches symboles qui sont l’expression idéale de la religion et la source profonde des beaux arts, mais au contraire pour conserver et pour accroître la vie dans cette organisation toujours si forte, quoique momentanément malade et en état de crise, du catholicisme. Sans doute M. Albert de Broglie, pas plus que ses illustres prédécesseurs, ne va jusqu’au bout de la carrière qu’il a ouverte ; mais les choses enracinées dans la conscience religieuse des hommes ne se remuent pas si vite. Les destructions sont brusques, le développement vital s’opère par degrés insensibles. D’ailleurs ce pas n’est point aussi court que le pourraient croire des esprits plus hasardeux. On pourrait le mesurer par les attaques dont M. de Broglie a été l’objet de la part de la vieille école catholique, qui voudrait des miracles partout, qui croit permis à l’histoire de négliger la vérité sous prétexte d’édification, et qui dès lors, sans action sur l’esprit moderne, cherche dans la protection des princes et dans la compression des libertés publiques ses moyens de persuasion ; ce qui lui a bien réussi, comme on sait !

Il n’est point vrai que la nouvelle tendance aille à un fatal et