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aurait-il pu, sans une assistance véritablement miraculeuse, résister à trois siècles de supplices ? Gibbon, dans un esprit hostile, avait trop amoindri les persécutions ; M. de Broglie, dans une intention toute contraire, mais avec une bonne foi sévère et ferme, cherche l’exacte mesure de la vérité, et il en résulte que, sans miracle aucun, l’église a pu résister à la persécution aussi bien qu’à l’hérésie. Selon lui, pendant tout le Ier siècle, les pouvoirs politiques semblent avoir eu à l’égard du nouveau culte les mêmes dispositions que Pilate envers Jésus : indifférence, curiosité, dédain. Ils condamnent, mais c’est par concession à la paix publique plutôt que par haine contre la doctrine nouvelle, qu’ils ne connaissaient guère. Au IIe siècle, les empereurs n’ont pas encore résolu de détruire le christianisme. Ils cèdent souvent aux dénonciations, mais n’ordonnent pas les poursuites. Les chrétiens, formant une société dont le réseau s’étendait déjà sur le monde, se réunissant la nuit, dans les souterrains, dans les déserts, excitaient la défiance même des plus sages, et la conformité supposée de leurs mystères avec les mystères sanglans d’Atys, de Cybèle et autres analogues, les calomniait parmi le peuple. Malgré ces griefs, les empereurs de ce temps éludent ou adoucissent les lois qu’on invoque contre eux ; ils louvoient entre la tolérance et les obsessions des persécuteurs. Ce n’est qu’au IIIe siècle que commencent les poursuites systématiques ; mais la cause en est politique, non religieuse. C’était une opinion alors généralement répandue, que l’empire, ébranlé par les Barbares et disloqué par l’anarchie, ne s’était corrompu que par l’invasion des mœurs étrangères. On aurait voulu réveiller l’antique patriotisme et la vertu civique des vieux âges ; mais l’influence du christianisme contrariait cet esprit exclusif de race et de cité ; les chrétiens professaient la fraternité universelle, ils s’agrégeaient des prosélytes chez les Barbares mêmes. L’évêque, magistrat nouveau dans les villes, ne connaissait ni races ni nations. C’est alors que les empereurs d’origine romaine, voulant extirper l’esprit exotique, deviennent impitoyables envers les chrétiens ; tel fut Décius, patricien, noble caractère, rigoureux persécuteur. Les autres, originaires des provinces et surtout de l’Asie, à qui la vieille patrie romaine est inconnue, tels qu’Alexandre Sévère, un Asiatique, et Philippe, un Arabe, étrangers eux-mêmes, favorisent les doctrines étrangères et le culte nouveau. Enfin Dioclétien vient changer sans retour l’esprit de l’empire : plus de vieilles traditions, plus de sentimens romains ; il quitte Rome, et y laisse le pontife chrétien sans rival. Dans sa maison même, nombre d’officiers sont chrétiens. Ce furent ces deux soldats brutaux, Maximilien-Hercule et Galère, qui le forcèrent à une dernière persécution ; mais déjà l’opinion, fatiguée de ces inutiles horreurs, protestait sourdement et passait du côté des opprimés ; On avait vu,